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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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parviennent le lendemain ou le surlendemain au secteur, celles qui viennent des départements éloignés du Midi mettent deux jours et trois les courriers des campagnes isolées. Mais les lettres saisies par la censure peuvent être retardées d’une semaine. Plus de 4 millions de lettres sont centralisées chaque jour au Bureau central militaire de Paris, avec 70 000 journaux, 320 000 paquets et 11 000 mandats. Le triple de l’ordinaire de temps de paix. À l’Hôtel des Postes de la rue du Louvre, deux mille personnes trient le courrier expédié par automobiles vers les gares.
    Quarante-quatre wagons chargent les 320 tonnes des sacs postaux. Les mobilisés répondent en expédiant cinq millions de lettres quotidiennement. On écrit beaucoup dans les tranchées, pendant les longues semaines de calme, et l’on attend le vaguemestre avec impatience. La ventilation des lettres par secteurs et leur distribution demandent du temps. Les « payeurs aux armées », surnommés par les poilus les « hommes verts » à cause de leur uniforme, sont installés dans les villages en ruine ou dans de simples cagnas. On a fini par les doter de camionnettes pour qu’ils reçoivent au plus vite les lettres. On les trie quelquefois dans les églises bombardées, sur les billards des marchands de vin, souvent au bord d’une route. Il n’est pas rare qu’un obus pulvérise l’un de ces centres de tri avancés.
    Les vaguemestres prennent livraison d’une dizaine de sacs par régiment. Ils gagnent en voiture à cheval le poste de commandement qui peut être distant de 35 kilomètres. Souvent sous les tirs d’obus. Nombre de ces convoyeurs sont tués ou blessés. Il leur reste à remonter dans les lignes, à se faufiler dans les boyaux pour distribuer le courrier à proximité immédiate du front. Ce dernier trajet est le plus long, le plus aléatoire : il explique les retards de distribution, les courriers perdus et l’impopularité des vaguemestres. Les poilus d’Orient sont beaucoup plus mal traités que ceux du front français : les navires peuvent être torpillés et les sacs postaux s’abîmer en mer. Les distributions demandent souvent des semaines de délai. À certaines périodes, les retards s’accumulent aussi sur le front français. Un soldat du 15 e régiment d’Albi en ligne dans le Nord reçoit ses colis de Paris avec trois mois de délai en janvier 1915. La bataille a perturbé les circuits.
    On ne se donne pas de mal pour les expatriés. Certaines unités sont parties pour Salonique, où les Français veulent envoyer plusieurs corps d’armée pour sauver les Serbes. La brigade de Belfort s’est embarquée à Marseille, et ces départs suscitent les quolibets de ceux qui restent en tranchée. Suivre Sarrail en Orient est considéré comme un privilège scandaleux. Heureux ceux qui vont prendre des vacances sous le soleil de Grèce ! Bientôt Clemenceau traitera de « jardiniers de Salonique » les poilus d’Orient accusés de planter des salades, dans leur désœuvrement.
    En Argonne, dans les Vosges ou sur le sable des Flandres, les poilus s’impatientent et s’indignent. Dans les plaines inondées de Haute-Alsace, les tranchées sont abandonnées en novembre. Il faudrait des scaphandres pour les tenir. « Nous ne craignons pas une attaque des Boches, dit le soldat René, car il faudrait qu’ils viennent en bateau ! » Heureusement le froid survient, qui transforme les prés en patinoires. Mais le courrier ne suit pas. Il tarde trop. Il n’importe ! les poilus écrivent sans cesse, au crayon le plus souvent, tant leur pèse la solitude. Quand ils n’ont pas de famille, d’épouse ou de fiancée, on leur trouve une marraine de guerre. Et rien ne les empêche de noter au jour le jour sur un carnet leurs impressions de la journée. Ainsi hivernent les hommes, entre deux offensives.
    *
    Car Joffre a mis ses fers au feu pour lancer au début de 1916 une nouvelle opération en accord avec les Anglais, sur la Somme. Plus que jamais certain de l’emporter, fort de l’expérience des précédents échecs. On pense désormais dans le haut commandement qu’il faut abandonner les opérations « coups de poing » précédées de longues préparations d’artillerie pour relancer les attaques, l’une après l’autre sur le même point du front, comme un bélier sur la porte cloutée d’une forteresse. Ainsi pourra-t-on éviter l’engorgement des lignes par les renforts avancés trop

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