Les Poilus (La France sacrifiée)
rendre aux Français l’Alsace, alors que l’on pouvait si bien s’entendre ! On avait conclu les premiers accords industriels sur l’acier, les produits chimiques et la potasse, préludant à la visite du docteur Schacht à Paris en 1937, aux conversations de 1938 entre le Quai d’Orsay et Ribbentrop. La diplomatie nazie reprendrait sur ce point comme sur tant d’autres les sillons tracés par la Wilhelmstrasse au temps de Stresemann.
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Sa politique servait, à l’évidence, les intérêts des affaires allemandes. Après sa mort, les effets de la crise avaient jeté le doute sur les chances d’un développement pacifique de la grande industrie, bien plus gravement que la récession étudiée par Fischer qui, de 1913 aux premiers mois de 1914, avait créé quatre cent cinquante mille postes de chômage dans les mines et l’industrie lourde, et provoqué une chute des cours en Bourse. S’il est vrai que la droite allemande se rassemblait alors contre la social-démocratie et que la réunion de Leipzig d’août 1913 avait demandé l’arrêt de toute politique sociale et « une nouvelle organisation professionnelle de la vie politique » en dehors des partis et des syndicats, nul ne s’intéressait encore aux projets de coup d’État des milieux d’extrême droite, sauf peut-être le Kronprinz. Nul n’attachait d’importance au général en retraite Gebsattel qui rédigeait pour le prince héritier un mémoire demandant la mise en tutelle de la presse de gauche et une législation antisémite. Le trône était assez solide pour écarter toute menace de subversion sociale et travailler au contraire, comme le chancelier du Reich, à l’intégration politique de la social-démocratie.
La menace communiste est autrement précise en 1930, quand les députés de ce parti sont nombreux au Reichstag et quand l’organisation dispose d’importants services d’ordre musclés dans les usines et dans les rues. Les nazis sont les spécialistes de la lutte violente contre les communistes et même contre les socialistes antifascistes regroupés dans l’association de la Reichsbanner. Les SA paramilitaires sont une troupe nazie toujours prête pour les mauvais coups, qui ne recule pas devant les batailles urbaines. Ils sont, de toutes les ligues d’extrême droite, les plus violents, les mieux encadrés. En 1932, une bataille rangée près de Breslau a provoqué l’intervention de l’armée. À Altona, douze morts et quarante-cinq blessés lors d’un affrontement entre nazis et communistes ; à F ü rstenwalde, seize morts et deux cents blessés. On se battait dans les rues à la grenade.
Il est vrai que, cette année-là, tout le redressement de la fin des années 20 semblait compromis par la crise mondiale. Le retrait des capitaux américains s’était accéléré en 1930 et 1931 et la faillite des grandes banques semblait compromettre l’ensemble et justifier l’intervention dirigiste de l’État sur l’économie. La chute des exportations, tombées à moins de 6 milliards de marks en 1932 contre 13,5 en 1929, portait un coup à la production industrielle qui s’effondrait, obligeant même l’IG Farben à procéder à des réductions de capital. Sur soixante-cinq millions d’Allemands, six étaient au chômage, sans compter les huit millions de chômeurs partiels. Les caisses de secours ne bénéficiaient qu’à un tiers des sans-travail.
Ils tombaient ainsi sous la dépendance des organisations paramilitaires extrémistes, SA et Rote Frontkämpferbund « organisation de défense prolétarienne », reconstituée après son interdiction en 1929 en Antifa (Antifascistischer Geheimbund) beaucoup plus violente que la Reichsbanner socialiste. Les Schutzstaffeln (groupes SS de protection) et les Sturmabteilungen (SA) recrutaient des agitateurs de rue, des colleurs d’affiches brutaux, des propagandistes à matraque qui l’emportaient dans la jeunesse sur les groupes de Casques d’acier organisés par d’anciens militaires (le Stahlhelm) ou les autres associations d’extrême droite jusqu’à constituer une force de quatre cent mille hommes jeunes, portant l’uniforme fourni par les fabricants de draps et le brassard à croix gammée, dotés de moyens de transport automobiles, de camps pourvus de tentes, de lieux d’hébergement, nourris abondamment par les soins d’une logistique efficace, dotés même d’un service de santé, flanqués de deux cent mille jeunes de la
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