Les Poilus (La France sacrifiée)
von Rundstedt assurait l’ordre militaire. Pour trouver une majorité, il avait dissous le Reichstag. Les communistes revenaient à 89, et gagnaient 12 sièges sur le dos du SPD ; les nazis étaient 230. Les extrêmes avaient l’absolue majorité. Von Papen était à son tour abandonné par les industriels. Il avait échoué dans sa tentative d’intégration des nazis aux autres partis de la droite. Hitler avait refusé d’entrer dans son gouvernement.
Pourtant, aux élections de novembre 1932 les nazis perdaient 34 sièges et les communistes étaient 100. Le général von Schleicher, devenu chancelier, parviendrait-il à sauver le régime ? On craignait alors une révolution armée des communistes à Berlin. On disait que les militants constituaient des stocks. Il était urgent de rétablir l’ordre. Le général-chancelier avait réussi en décembre 1932, pour diviser le parti nazi, à gagner Gregor Strasser, l’homme de gauche du national-socialisme. Pain béni pour Hitler qui devenait ainsi utilisable contre Strasser, mais surtout contre les communistes, par la haute industrie. Dans les discours du NSDAP, il ne serait plus jamais question de nationalisation des entreprises industrielles, mais de respect de la propriété.
Cette démagogie de la violence, soutenue dans le pays aux élections, approuvée par les chômeurs, les ouvriers attirés par la propagande, des jeunes fanatisés, des petits-bourgeois allemands cotisant au parti de Hitler et qui demandaient à être rassurés par un régime d’ordre musclé, recevrait-elle l’accord de l’ancienne Allemagne et l’appui des milieux dirigeants de l’industrie ?
La démocratie parlementaire ne représentait plus dans ce pays une valeur à défendre à tout prix, dès lors qu’elle ouvrait légalement la route au bolchevisme. Elle était du reste mise en question, avec une moindre violence, dans toute l’Europe. Le fascisme italien était depuis 1922 devenu un modèle pour les droites extrêmes et il n’était nullement un repoussoir pour les droites classiques. En France, l’opinion, déçue par la paix, secouée par la crise, voyait s’écrouler la fragile construction de Genève sous les coups des puissances totalitaires, sans que le personnel politique pût mettre en œuvre une réponse efficace. Les anciens combattants dégoûtés de la grisaille radicale adhéraient à la ligue des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque. Ils défilaient sur les Champs-Élysées sous le casque Adrian, les décorations de guerre sur la poitrine, moins pour rappeler leur sacrifice que pour avertir qu’il fallait rester en armes, et ne pas se fier aux parlotes du Palais-Bourbon, à cette majorité Blum-Herriot qui, en 1932, venait de sortir des urnes. On était sur le chemin du 6 février 1934.
Si le coup bas contre la démocratie échouait en France, il avait réussi en Allemagne : jouant très tardivement la carte en apparence gauchisante de Gregor Strasser contre Hitler, sans obtenir de résultats, von Schleicher condamnait son cabinet à mort. Il chutait le 28 janvier 1933, réunissant contre lui la réprobation des industriels et des agrariens pour la couleur sociale marquée de son programme, alors que les bandes nazies chantaient plus que jamais dans les rues le Horst-Wessel-Lied. Le docteur Schacht et l’industriel Thyssen, amis de Göring, se hâtaient d’introduire Hitler dans les milieux d’affaires, par l’intermédiaire du banquier Schroeder, à Düsseldorf, le 27 janvier 1932. Il parlait alors devant 650 patrons rassemblés par le Club de l’industrie.
Il « flatte leur nationalisme et leur anticommunisme », assure le dernier biographe français de Hitler, François Delpla [4] . Il va « tirer le plus grand parti d’une progression, celle des communistes, qui passent de 89 à 100 députés » aux élections du 6 novembre 1932. Selon le banquier Schroeder, qui commente plus tard cette journée : « Le désir général des industriels était de voir un chef énergique prendre le pouvoir […] Le sentiment commun à toute l’industrie était la crainte du bolchevisme […] Il y avait un autre point commun, le désir de réaliser le programme industriel de Hitler. Ce programme, c’était le réarmement. » Dans une adresse envoyée à Hindenburg en novembre 1932, les Schacht, Krupp, Thyssen, Haniel, Bosch, Siemens, Cuno et beaucoup d’autres demandaient à Hindenburg d’appeler au pouvoir « le chef du parti national le
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