Les Poilus (La France sacrifiée)
plus important [5] ».
Le futur dictateur obtenait enfin des subsides suffisants (3 millions de Reichsmarks) de quelques grandes entreprises allemandes jusque-là soucieuses de se concilier les faveurs des grands partis plutôt que du nazisme, et surtout l’appui politique qui lui manquait pour s’imposer au vieil Hindenburg, le seul maréchal de la Grande Guerre encore vivant, à qui Hitler faisait des grâces. Le 30 janvier 1933, il était officiellement nommé chancelier du Reich.
Un grand concours populaire suivait l’annonce de cette prise du pouvoir. Les SA aux flambeaux défilaient dans Berlin sous la porte de Brandebourg, suivis par les casques d’acier en uniformes gris-vert. Une résurrection, écrit Ernst Nolte [6] de « l’Allemagne nationale » qui « habitait le cœur de tous les Allemands ». Elle rappelait l’enthousiasme « quasi général » des journées d’août 1914, et Nolte de préciser : « Ce qui a vaincu le 30 janvier ce ne fut pas tant Hitler, dans un premier temps, qu’une certaine idée de l’histoire, la légende de l’Allemagne nationale, avec toute la force de conviction que peuvent détenir les sentiments simples et purement émotionnels. » Ainsi s’affirmait ce jour-là à Berlin, sous le martèlement de la chaussée d’Unter den Linden par les bottes cloutées des SA, l’esprit de guerre trentenaire.
Que dirait l’armée de cette prise de pouvoir dont beaucoup d’officiers mesuraient les dangers ? N’avait-elle pas acquis, sous la République de Weimar, une sorte d’indépendance, et même de prépondérance lorsque von Schleicher avait été appelé au pouvoir par Hindenburg ? N’était-elle pas le seul corps que le III e Reich ne pourrait absorber facilement ? Les officiers étaient certes de tradition apolitique, mais ils étaient d’abord anticommunistes. Hitler ne s’y trompait pas. Quelques jours après sa victoire, il avait tonitrué au Sportpalast : « Le marxisme doit mourir. Pacifiste à l’extérieur, il est terroriste à l’intérieur. Ou c’est le marxisme qui vaincra, ou c’est le peuple allemand et c’est l’Allemagne qui vaincront. » Devant le danger de subversion à Berlin et dans la Ruhr, et devant l’impuissance de l’État, l’armée s’était inclinée. La cérémonie de Potsdam du défilé des drapeaux de la vieille Prusse, portés par les officiers de l’armée devant Hindenburg, était significative d’un respect apparent des hitlériens pour l’état-major : Hitler et Göring étaient en civil. Ils assistaient à la parade. L’hommage ne leur était pas destiné. Le vieux maréchal, isolé sur une estrade, était seul en mesure d’en bénéficier, ainsi, peut-être, que les mânes de Frédéric II enfouis dans le tombeau de la Teresiankirche.
Mais le véritable caractère de la cérémonie devait se révéler en toute clarté. En ce jour anniversaire de l’inauguration du II e Reich par Bismarck en 1871, le 21 mars 1933, où le drapeau impérial noir-blanc-rouge était très officiellement rétabli, Hindenburg et les chefs militaires avaient admis que Hitler fît défiler devant Hindenburg ses bataillons de SS et de SA. L’ancienne Allemagne acceptait la nouvelle, dont les militants militarisés marchaient au pas cadencé, sous les drapeaux « du sang » ornés de la croix gammée.
L’Allemagne était sous les armes : déjà cent mille SS, plus d’un million et demi de SA entretenus plus ou moins par l’administration de l’armée. Hitler tolérerait-il, imposerait-il, l’intégration immédiate à la Reichswehr de cette milice populaire, qui aurait mis immédiatement le pays sur le pied de guerre ? Il refusait, probablement pour se concilier l’état-major. Von Blomberg, en 1934, avait prévenu Hitler que l’armée ne pourrait prêter serment qu’à un chef d’État.
Dès lors Hitler était prêt à sacrifier Röhm, chef des SA, dont la puissance pouvait l’empêcher d’exercer le pouvoir suprême. La Nuit des longs couteaux du 30 juin 1934 donnerait au général von Blomberg, débarrassé à la fois de l’encombrant Röhm et de l’intrigant von Schleicher, l’occasion de remercier le F ü hrer. Il serait lui-même remercié, peu après la remilitarisation de la Rhénanie et avant l’Anschluss, par le dictateur désireux d’établir aussi sa mainmise sur l’armée. La nomination de Keitel était le symptôme de la mise en tutelle de l’état-major. L’armée de terre
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