Les Poilus (La France sacrifiée)
bataille sera sur nous. Que nos esprits soient tendus à la guerre ! »
Son artillerie avait arrosé les lignes allemandes pendant la journée du 26 mai. Une division d’infanterie, celle des Briards de la 39 e toujours mobilisés dans les coups durs, était montée tout près des lignes par camions, suivie par les Vendéens de La Roche-sur-Yon, Ancenis et Fontenay (21 e ). Le chef de la VI e armée disposait, renforts immédiats compris, d’effectifs inférieurs de moitié aux trente divisions allemandes qui attendaient l’heure de l’assaut.
Les ordres, en cas d’attaque, étaient de tenir éperdument sur la première ligne de tranchées, « sans tourner son regard vers l’arrière ». Chaque mitrailleuse devait tirer jusqu’à épuisement de ses bandes. Pas question d’organiser, comme le souhaitait Pétain, une deuxième position de résistance. Les poilus du Chemin des Dames étaient, une fois encore, promis au carnage.
Ils devaient subir un bombardement au gaz d’une ampleur considérable, rendu dangereux par l’emploi de l’ypérite, déjà expérimenté en 1917 et largement employé dans l’attaque du 21 mars [108] . Les obus à croix jaune tirés par les 77 et les 105 avaient des conséquences immédiates : les poilus surpris souffraient des yeux, vomissaient, leurs visages bouffis se couvraient de plaques. La terre contaminée donnait des œdèmes partout où la peau était en contact avec le gaz, notamment aux latrines.
Ce gaz avait des effets si nocifs que Ludendorff pouvait écrire : « Notre artillerie se repose maintenant sur les gaz pour produire ses effets. » Pendant dix minutes, l’éperon du Chemin des Dames était accablé par des obus à croix jaune qui dégageaient une nappe continue, s’infiltrant dans les tranchées et les entonnoirs. Les vêtements, les souliers des poilus du ravin sud de Juvigny étaient imprégnés de gaz moutarde. On répandrait du chlorure de chaux dans chaque trou d’obus pour permettre aux défenseurs de tenir.
L’attaque avait commencé aussitôt après les tirs meurtriers des Minenwerfer, selon le scénario habituel des Stosstruppen. À sept heures du matin, Ludendorff pouvait s’enorgueillir de 45 000 prisonniers. La 8 e division britannique n’avait plus que 2 000 hommes en état de tirer. On avait perdu les Chouans de la 21 e division qui résistaient par petits paquets, jusqu’à épuisement. Les Bretons de la 61 e ne comptaient plus que 600 fusils, et 500 la 22 e des poilus de Brest, Vannes, Lorient et Quimper.
Duchêne avait perdu la maîtrise du combat. Il recevait par pigeons voyageurs des nouvelles des points de résistance : ainsi, à Pargny, au nord-ouest du Chemin des Dames, un commandant appelait au secours : « Sommes au contact à la grenade, les Boches nous débordent. » Œuilly, petit bourg de l’Aisne, est déjà encerclé. Les divisions sont jetées dans la bataille à l’aveuglette, sans qu’on puisse même leur indiquer un point de départ.
Les assaillants sont à trois ou quatre contre un. Ils descendent sur Soissons. Malgré l’obstination des bataillons de chasseurs à pied de Brienne, le général des Vallières doit évacuer Vexaillons. Des groupes encerclés résistent encore, sans espoir, dans la forêt de Pinon, au nord du moulin de Laffaux. Les survivants envoient un pigeon au général : « Tout le monde a fait son devoir, jusqu’à la dernière limite. Le bataillon a lutté pied à pied, pendant onze heures. Il ne reste que le quart de l’effectif et plus de munitions pour les mitrailleuses. »
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Voilà les Allemands sur l’Aisne, qu’ils franchissent aisément sur des ponts de bateaux ou, ce qui est plus grave, sur les ponts restés intacts, en dépit des ordres de Duchêne. Les plis de l’état-major étaient arrivés trop tard. Seuls les ponts de l’ouest avaient pu être minés, sous le feu des mitrailleuses allemandes. Les poilus en retraite étaient donc talonnés par des Stosstruppen. Les contre-attaques lancées sans appui d’artillerie avaient toutes échoué : les renforts étaient trop faibles.
Un témoignage permet de suivre l’intervention de ces troupes de choc, chargées de résorber la percée sur l’Aisne [109] . Pétain a envoyé la 13 e division à trois bataillons de chasseurs à pied, de solides troupes de Langres, Brienne et Chaumont pour tenir Fismes, à l’ouest du môle de résistance de Reims, et la première division d’élite qui doit se
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