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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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de pièces les ordres de tir.
    Sur la plage, les chevaux se faisaient tuer en se roulant dans le sable pour se soulager de la gale, et les hommes étaient visés par les mitrailleurs quand ils se jetaient dans la mer pour échapper à l’odeur sinistre des morts que les Allemands brûlaient à Mariakerke dans un crématoire improvisé. Les artilleurs étaient accablés par les tirs de représailles des batteries allemandes qui mettaient leurs pièces « en bombe ». Quand ils furent relevés par les Britanniques, ils apprirent, sans avoir vraiment connu le gros de l’offensive allemande des Flandres, qu’elle était terminée. Ils étaient assignés à un secteur calme, avant d’être retirés du front en mai et transportés dans la région de Montbéliard.
    Si Pétain avait ainsi ménagé ses réserves, soutenant son allié avec parcimonie et tardivement, comptant sur Haig pour résister à l’attaque allemande, c’est qu’il prévoyait une autre offensive contre les Français, dirigée cette fois sur Paris. Sans doute les Allemands avaient-ils perdu 230 000 hommes du 21 mars au 30 avril, mais les Alliés avaient subi des pertes beaucoup plus importantes : 250 000 dans l’armée anglaise, dont 72 000 prisonniers, et 92 000 Français, dont 18 000 s’étaient rendus à l’ennemi.
    La proportion préoccupante des prisonniers au registre des « disparus » montrait, à l’évidence, une baisse du moral. En mai, Ludendorff, grâce aux renforts venus de l’Est et aux nouvelles levées de la classe 1919, pouvait encore aligner 206 divisions, contre 171 alliées. Sa réserve était estimée par les services de renseignements français à 75 à 80 unités de bonnes troupes. Les Anglais n’avaient plus que 50 unités opérationnelles, et les réserves de Foch avaient fondu : une quarantaine de divisions dispersées sur le front.
    On ne pouvait encore rapatrier les régiments envoyés dans les Flandres, parce que les observations s’accordaient à dénoncer de nouveaux préparatifs du prince Rupprecht de Bavière, avec des effectifs d’au moins quarante divisions qui suffiraient à fixer l’armée britannique et risquaient d’emporter la décision. Haig utilisait ses renforts pour reconstituer ses bataillons perdus. Quant aux Américains, leurs quatre divisions instruites s’habituaient aux combats dans les secteurs calmes de l’Est.
    Les Français devaient donc rester présents sur la Lys, et plus encore dans la région de la Somme, entre Montdidier et Arras, où le feu mal éteint pouvait reprendre. 45 des 103 divisions françaises attendaient donc l’ennemi au nord de l’Oise. Si Ludendorff parvenait, par une attaque du Kronprinz de Prusse, à aligner 30 divisions et 1 150 batteries contre l’armée française, à attirer des renforts alliés vers le sud, Rupprecht aurait les mains libres au nord. L’obsession du quartier-maître général était encore d’abattre, en premier, les Anglais.
    Les poilus de la VI e armée qui tenaient la ligne de l’Aisne pour le général Duchêne ignoraient qu’ils étaient aux premières loges dans les calculs allemands. Derrière eux, deux petites divisions de réserve, sur un terrain difficile où les renforts arrivaient à grand-peine.
    Pétain savait pourtant, par une étude des renseignements remise le 14 mai, que les renforts allemands se succédaient en Champagne par trois itinéraires ferroviaires. Une division partie de Liège arrivait par Rethel en trois jours sur le front. Un corps d’armée parti de Bruxelles mettait seulement deux jours pour entrer en ligne autour de Vouziers. Par Mons, Namur et Carignan, il fallait compter vingt-quatre heures de plus. En un mois, les Allemands avaient eu tout loisir d’acheminer 38 divisions à pied d’œuvre. On pouvait s’attendre à une chaude affaire en Champagne, à partir du 20 mai.
    *
    Quel chemin parcouru depuis août 1914 ! Pour ceux de dix-neuf ans qui montent au front en 1918, le «pantalon rouge » parti à vingt-cinq ans est un ancêtre. On écoute à la popote ses récits de Charleroi comme s’il parlait de la guerre de Crimée. Il a vieilli d’une génération en quatre ans, ses joues sont amaigries, des rides plissent ses yeux, à force de guetter de jour et de nuit. Le froid, le vent ont buriné son visage comme une pomme cuite. Il est voûté, à force d’avoir marché, penché dans les boyaux. Ses jambes le portent à peine, quand il part « en perm », ployant sous le, barda.

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