Les Poilus (La France sacrifiée)
cramponner à Soissons, l’autre pôle de résistance du front enfoncé.
Le mouvement commence à 9 h 30, « soupe mangée ». Il a du retard, car les camions se font attendre. Les fantassins partent les premiers, à 13 heures seulement, les chasseurs une heure plus tard. L’objectif est Romain, au nord de Fismes. Sur la route étroite défilent les survivants d’un corps anglais en retraite, emportant leurs blessés. Les officiers de la 13 e division envoyés en éclaireurs dans le village le trouvent vide : les avions allemands mitraillent les derniers fuyards.
Les officiers peuvent encore téléphoner. Ils demandent que les soldats débarquent aussitôt en tenue de combat. Ils seront immédiatement en contact avec l’ennemi, sous la protection de quelques rares automitrailleuses. Franchet d’Esperey, responsable du front nord, exige que l’on reprenne les hauteurs de la Vesle. Impossible, répondent les éclaireurs : les Allemands sont là. Ils mitraillent les chasseurs dès qu’ils sautent de leurs camions. L’artillerie, l’aviation ennemie attaquent sans répit les colonnes de renfort.
La 13 e division est déjà coupée en deux. Des cavaliers essaient en vain de combler la brèche. Deux mille hommes sont tombés et les survivants n’ont plus de munitions. Aucun soutien d’artillerie. « En embarquant la division pour un trajet aussi court, écrivent Laure et Jacottet, on lui fit perdre trois quarts d’heure pour sa mise en mouvement, on la scinda en plusieurs morceaux, on la priva de son artillerie. Tous les liens tactiques furent rompus, et il fut impossible de les renouer au cours des journées suivantes. »
On a utilisé une troupe d’élite, une fois de plus, pour faire face à l’incendie sans lui donner aucune chance de l’éteindre, dans l’affolement des états-majors. Franchet d’Esperey et Duchêne paieront cher cette imprudence, ou cette inconséquence. Le premier sera envoyé à Salonique, le deuxième passera devant une commission d’enquête.
Le secours vient plus tard, quand la 20 e division attaque à son tour, cette fois avec un fort soutien d’artillerie. Les groupes de 105 et d’artillerie portée, les deux groupes lourds tirés par des chevaux et les trois régiments à tracteurs venaient de Champagne. Ils n’avaient pu survenir au premier feu [110] . Les avions allemands qui orientaient les tirs d’extermination de l’artillerie ne seraient attaqués qu’après l’arrivée du groupe Chabert de La Ferté-Milon et des chasseurs de Féquant venus de Beauvais. Alors seulement, quarante-huit heures après l’attaque, les forces commenceraient à s’équilibrer.
Le mouvement ascendant et descendant des renforts d’artillerie lourde le long des lignes était plus rapide chez les Allemands, parce qu’ils disposaient d’un réseau ferroviaire plus rassemblé, plus capillarisé. Les Français ne comptaient toujours que sur une seule ligne de communication nord-sud, lente et menacée. Les transversales d’ouest en est n’étaient pas plus rapides. On a vu que les convois passaient le plus souvent par Paris-Le Bourget. La centralisation du réseau rendait les communications lentes avec l’Alsace et la Lorraine.
De là pourtant partaient les divisions les plus reposées, que Pétain affectait en priorité au Chemin des Dames, ménageant jusqu’au bout le front de Champagne, où il craignait une extension de l’offensive. Encore moins faisait-il appel à Foch, entièrement préoccupé par l’opération du Kronprinz de Bavière, qui risquait d’être décisive. Il n’était pas possible de demander aux Britanniques plus qu’ils n’avaient donné : les divisions du 9 e corps désormais en retraite à partir du plateau de Craonne.
Avec ses seuls moyens, Pétain n’avait pu empêcher les Allemands de prendre Soissons, après des combats de rues acharnés, pires qu’à Noyon. Le général des Vallières y avait laissé la vie, tué à la sortie de Juvigny. On n’avait pas eu le courage de faire sauter le pont du chemin de fer, encombré de blessés et de soldats français exténués. La ville martyre, bombardée de jour et de nuit, réduite à un champ de ruines, servait de retranchement aux avant-gardes ennemies.
Pour empêcher la ruée sur la Marne, une ligne de résistance courant sur les bords de la petite rivière l’Ourcq pouvait être envisagée dans les calculs d’état-major, de La Ferté-Milon à Fère-en-Tardenois, par
Weitere Kostenlose Bücher