Les Poilus (La France sacrifiée)
catastrophe. Déjà la rivière était franchie à Jaulgonne sur deux Schnellbrücken, des passerelles métalliques jetées sur barques. La 3 e division américaine gardait Château-Thierry, bientôt renforcée d’un corps français. La seconde division était en réserve. Les troupes « associées » du général Pershing étaient enfin arrivées sur le front.
Mais ni les Américains ni les chars n’étaient encore assez nombreux pour faire peur aux Allemands. Ludendorff commettait l’erreur de changer son axe offensif, attaquant sur Villers-Cotterêts, abandonnant pour l’heure la descente sur Paris. On expédiait à la hâte la 128 e division [111] au débouché de la forêt pour dresser un premier obstacle, sous le commandement de Fayolle, dans des conditions très précaires. Mais il organisait bientôt, avec les renforts, une deuxième position de résistance qui permettrait à l’artillerie lourde enfin en batterie d’écraser de son tir les assaillants, après la prise de la première ligne.
Les coloniaux résistent avec acharnement sur le verrou de Reims, au fort de la Pompelle encerclé, défendu par des actions violentes, impitoyables, des corps à corps à l’arme blanche. Les zouaves et les tirailleurs sont une fois de plus présents sur la Marne. La division Marchand recule pied à pied, et tient la ligne malgré ses pertes.
La tête de pont de Jaulgonne est reprise. Duchêne s’enterre entre La Ferté-Milon et Château-Thierry. Il s’emporte contre les poilus en retraite qui ont jeté pelles et pioches dans les fossés. « Je n’admettrai pas, dit-il, sous prétexte de fatigue des troupes, que les chefs à tous les degrés n’imposent pas ce travail d’une importance capitale. » Des trous individuels, des tranchées, des positions !
À qui sont les villages environnés de fumées ? Les aviateurs multiplient les repérages, mais ils ont déjà changé de mains quand ils viennent au rapport. Troësnes, Mosloy, La Loge-aux-Bœufs sont pris et repris à la grenade. Dans Château-Thierry, ville martyrisée par le canon, les mitrailleurs américains aident les coloniaux à tenir jusqu’au bout.
Les pertes allemandes sont lourdes. Ludendorff est prisonnier de sa victoire. Faute de voies ferrées en état de marche, il ne peut ravitailler ses troupes dans la boucle de la Marne. Une lettre d’un soldat de la 51 e division de réserve affirme que « pauvre Michel » (du nom de l’opération allemande) n’a plus rien, alors que les Français regorgent de pain blanc, de vivres, de chocolat et même de cigarettes américaines. Un soldat du 32 e régiment d’infanterie affirme qu’il ne reste plus que soixante-cinq hommes dans sa compagnie et qu’il n’a pas mangé chaud ni dormi depuis quatre jours. Les Français, dit-il, « se défendent comme des fous ».
Les nouvelles divisions d’assaut allemandes puisées dans les réserves n’ont plus la science du combat ni le moral des Stosstruppen, elles se font décimer par l’artillerie. Il est devenu moins facile d’infiltrer les lignes françaises, depuis que les poilus tiennent de nouveau des tranchées.
Celles de la seconde position ont été réalisées par le service du travail du général Pagès : des milliers de coolies chinois, de Malgaches et d’Italiens ont ainsi creusé le sol à l’arrière immédiat du front, soumis à la stricte discipline militaire et au feu des canons lourds allemands. Ils ont aussi réparé les lignes de chemin de fer bombardées et construit de nouvelles voies pour l’acheminement des renforts et des munitions [112] .
Ces travaux intensifs permettent à l’armée d’être ravitaillée, secourue et enterrée. L’offensive de Ludendorff fléchit sur Villers-Cotterêts. Duchêne se bat encore au sud de Château-Thierry, dont le général Marchand, de la 10 e division d’infanterie coloniale, a fait sauter le pont.
Au sud de Bouresche, entre Lucy-le-Bocage et Belleau, à l’ouest de Château-Thierry, les Allemands ne parviennent pas à enlever une butte de trois cents mètres dite le Triangle qui commande la route de Meaux [113] . Duchêne, qui vient d’échapper de près à la capture aux alentours de Soissons, tient à ce que la position soit défendue. La 73 e division, levée dans le Jura, en Franche-Comté et dans la Côte-d’Or, se sacrifie.
Les poilus ont eu le temps de se retrancher, de transformer la colline en fortin. Les Allemands lancent attaque sur attaque, jusqu’à
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