Les Poisons de la couronne
le nom de Courtrai sonnait comme celui d’une défaite. Or il faut
prendre garde, en matière de guerre, aux précédents ; les catastrophes se
reproduisent généralement aux mêmes emplacements.
Pour l’entretien de l’ost formidable
qu’il voulait rassembler, Louis X se trouvait, naturellement, en peine
d’argent. Son conseil eut alors recours aux mêmes expédients qu’employait
Marigny ; et l’on se demanda, dans l’opinion, s’il avait bien été
nécessaire de condamner à mort l’ancien recteur du royaume, pour revenir aussi
vite à ses méthodes en les appliquant plus mal.
On affranchit tous les serfs du
domaine qui pouvaient acheter leur liberté ; on autorisa de nouvelles
arrivées de Juifs dans les villes royales, moyennant une taxe écrasante sur le
droit de séjour et de commerce ; on réduisit les privilèges des banquiers
et marchands lombards, en même temps qu’on instituait une, puis deux tailles
supplémentaires sur toutes leurs transactions, ceci en dépit des belles
assurances données par le comte de Valois à ses prêteurs. Aussitôt les Lombards
jugèrent le règne d’un œil beaucoup moins favorable [8] .
On voulut également imposer le
clergé ; mais celui-ci, tirant argument de ce que le Saint-Siège était
vacant et que nulle décision ne pouvait se prendre en l’absence d’un pape,
refusa ; après de difficiles négociations, les évêques consentirent une
aide à titre exceptionnel, mais seulement en contrepartie d’exonérations et de
franchises qui se révélèrent finalement coûter plus au Trésor que ne
rapportaient les subsides obtenus.
La levée de l’armée s’accomplit sans
difficultés, et même dans un certain enthousiasme de la part des barons qui se
plaisaient à l’idée de sortir leurs cuirasses et d’aller courir l’aventure.
Le peuple affichait moins
d’allégresse.
— N’est-ce point assez,
disaient les commères, qu’on soit à demi morts de famine, pour aller encore
donner nos hommes et notre argent à la guerre du roi ?
Mais on faisait miroiter aux soldats
l’espoir du butin et des jours francs de pillage et de viol ; pour
beaucoup d’hommes, l’ost offrait une échappée à la monotonie du labeur
quotidien et au souci de se nourrir ; nul ne voulait se montrer
lâche ; et les sergents royaux savaient rappeler les manants au devoir en
décorant de quelques pendus les arbres des routes.
La plupart des ordonnances de
Philippe le Bel relatives à l’organisation de l’armée demeuraient en vigueur,
grâce à l’obstination du connétable, et continuaient de prouver leur
efficacité.
Tout homme valide, s’il était âgé de
plus de dix-huit ans et de moins de soixante, devait le service armé, sauf à se
racheter par une contribution en argent ou à justifier d’un métier jugé
indispensable.
La formation de l’ost obéissait à
une articulation essentiellement territoriale. Le chevalier, et même l’écuyer,
n’allaient jamais seuls en guerre ; ils étaient accompagnés de valets
d’armes, de sommeliers, de gens à pied. Possesseurs de leurs chevaux, de leur
armement et de celui de leurs hommes, ils devaient constituer leur troupe avec
les vassaux, sujets ou serfs de leur fief. L’octroi de la chevalerie
correspondait à une nomination dans un grade assorti d’obligations militaires
fort précises. Le simple chevalier, une fois son monde équipé et rassemblé,
rejoignait le chevalier de grade supérieur, généralement un chevalier à
pennon , son suzerain immédiat. Les chevaliers à pennon ralliaient les
chevaliers à bannière, ou bannerets , lesquels eux-mêmes étaient placés
sous les ordres des chevaliers à double bannière, chefs des grandes unités
tactiques levées sur la juridiction de leur baronnie ou de leur comté.
La bannière du comte de Poitiers,
frère du roi, se présentait à elle seule comme un corps d’armée de proportions
imposantes, puisqu’elle rassemblait à la fois les troupes du Poitou et celles
du comté de Bourgogne ; de plus, dix bannerets y étaient
administrativement rattachés, parmi lesquels le comte d’Évreux, Anseau de
Joinville, fils du grand Joinville, et le connétable Gaucher de Châtillon
lui-même, pour les troupes qui venaient de son comté de Porcien.
Ce n’était certainement pas sans
raison que Philippe le Bel avait confié à son second fils, avant même que
celui-ci eût vingt-deux ans, un commandement de telle importance ; la
bannière de Poitiers
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