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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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comme
une nécessité politique ; il ne mâchait pas ses mots ni ne s’embarrassait
de vaine gloriole.
    — Sire, dit-il, les viandes et
les vivres ne parviennent plus à l’ost, les chariots sont embourbés dans des
fondrières à six lieues d’ici, et l’on casse les traits d’attelage à les
vouloir sortir. Les hommes commencent à gronder de faim et de colère ; les
bannières qui ont encore à manger doivent défendre leurs réserves contre les
voisins ; les archers de Champagne et ceux du Perche en sont venus aux mains
tout à l’heure, et ce serait beau voir que vos soldats se livrent bataille
entre eux avant même que d’avoir affronté l’ennemi. Je vais être forcé de faire
pendre, ce que je n’aime guère. Mais les gibets dressés ne remplissent pas les
ventres. Nous comptons déjà plus de malades que n’en peuvent soigner les
barbiers-chirurgiens ; ce sont les aumôniers, bientôt, qui auront gros
travail. Voici quatre jours que cela dure et qu’on ne voit point d’amélioration
à l’intempérie. Encore deux jours, la famine est déclarée, et personne ne
pourra empêcher les hommes de déserter pour aller quérir pitance. Tout est
moisi, tout est pourri, tout est rouillé…
    En matière de preuve, il secoua le
camail d’acier, dégouttant d’eau, qu’il avait ôté de ses épaules en entrant.
    Le roi marchait en rond, nerveux,
anxieux, agité. On entendait, dehors, des vociférations et des claquements de
fouets.
    — Qu’on cesse ce tumulte, cria
le Hutin ; on ne s’entend plus !
    Un écuyer souleva la portière du
tref. La pluie continuait de tomber, torrentielle et formant devant l’entrée de
la tente comme un autre rideau. Trente chevaux, enfonçant dans la boue jusque
par-dessus les boulets, étaient attelés à un énorme tonneau qu’ils ne
parvenaient pas à mouvoir.
    — Où portez-vous ce vin ?
demanda le roi aux charretiers qui barbotaient dans l’argile.
    — À Monseigneur d’Artois, Sire,
répondit l’un deux.
    Le Hutin les regarda un moment de
ses gros yeux globuleux, hocha la tête et se détourna sans rien ajouter.
    — Que vous disais-je,
Sire ? reprit Gaucher. Nous aurons peut-être à boire ce jour, mais demain,
n’y comptez plus… Ah ! J’aurais dû vous prier plus nettement de vous en
remettre à mon conseil. J’étais d’avis qu’on s’arrêtât plus tôt, en
s’affermissant sur quelque hauteur, au lieu de plonger dans ce bourbier. Monseigneur
de Valois et vous-même insistiez pour qu’on allât de l’avant. J’ai craint qu’on
ne me prît pour couard et qu’on accusât mon âge, si j’empêchais l’ost de
progresser. J’ai eu tort.
    Charles de Valois s’apprêtait à
répliquer, lorsque le roi demanda :
    — Et les Flamands ?
    — Ils sont en face, de l’autre
côté de la rivière, en aussi grand nombre que nous et guère plus heureux, je
pense, mais plus près de leur ravitaillement, et soutenus par le peuple de
leurs bourgs. Si même l’eau vient à baisser demain, ils seront mieux préparés à
nous attaquer que nous à les assaillir.
    Charles de Valois haussa les
épaules.
    — Allons, Gaucher, la pluie
vous assombrit l’humeur, dit-il. À qui ferez-vous croire qu’une bonne
chevauchée chargeante ne pourrait avoir raison de cette piétaille de
tisserands ? Aussitôt que nous progresserons, avec notre mur de cuirasses
et notre forêt de lances, ils vont s’égailler comme moineaux.
    Le comte était superbe, malgré la
boue qui le couvrait, dans sa cotte de soie brodée d’or passée par-dessus son
vêtement de mailles ; et certes il paraissait plus roi que le roi
lui-même. Cousin de tout le monde, il l’était aussi du connétable, ayant en
troisièmes noces épousé une Châtillon.
    — Vous montrez assez, Charles,
répliqua Gaucher, que vous ne vous trouviez pas à Courtrai voici treize ans.
Vous étiez alors à guerroyer en Italie, pour le pape. Moi, j’ai vu cette
piétaille de tisserands, comme vous l’appelez, mettre à mal nos chevaliers qui
s’étaient trop hâtés, les renverser de leurs montures et les découper au
couteau, dans leurs armures, sans daigner faire de prisonniers.
    — Il faut croire alors que je
manquais, dit Valois avec une suffisance qui n’était qu’à lui. Cette fois, je
suis là.
    Le chancelier Mornay chuchota à
l’oreille du jeune comte de la Marche :
    — Entre votre oncle et le
connétable, il ne sera pas long que l’étincelle jaillisse ; dès qu’ils
sont

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