Les Poisons de la couronne
faisait équilibre en quelque sorte à la bannière de Valois
sous laquelle marchaient à la fois les recrues du Valois, de l’Anjou et du
Maine.
Une autre grande unité était, bien
sûr, celle levée sur le domaine royal proprement dît. À cette dernière
appartenait Robert d’Artois, pour sa châtellenie de Conches-en-Ouche et pour
son comté de Beaumont-le-Roger toujours promis, jamais remis.
Les villes n’étaient pas obligées à
moindre contribution que les campagnes. Pour l’ost de Flandre, Paris eut à
fournir quatre cents hommes de cheval et deux mille hommes de pied. Les soldes
en seraient assurées par les bourgeois marchands de la Cité, de quinzaine en
quinzaine. Les chevaux et chariots nécessaires au train furent réquisitionnés
dans les monastères.
Le 24 juillet 1315, après quelque
retard, comme il s’en produisait toujours, Louis X prit à Saint-Denis, des
mains de l’abbé Egidius de Chambly qui en était gardien, l’oriflamme de France,
longue bande de soie rouge, brodée des flammes d’or auxquelles elle devait son
nom premier : l’or-y-flambe , et fixée sur une hampe couverte de
cuivre doré.
De part et d’autre de l’oriflamme,
portée comme une relique, flottaient les deux bannières du roi, à droite la
bleue fleurdelisée, à gauche celle à croix blanche.
Et l’armée se mit en marche,
comprenant tous les contingents arrivés de l’Ouest, du Sud et du Sud-est, les
chevaliers languedociens, les troupes de Normandie et de Bretagne. Les
bannières de Bourgogne-duché, de Champagne, d’Artois et de Picardie
rejoindraient en route, vers Saint-Quentin.
Ce jour-là fut un des rares
ensoleillés dans un été pourri. La lumière étincelait sur les milliers de
lances, les camails d’acier, les cottes de mailles, les écus de combat peints
de couleurs vives. Les chevaliers se montraient les derniers perfectionnements
d’armure, une nouvelle forme de cervelière qui assurait mieux le casque sur la
tête, une fente de heaume qui permettait un meilleur champ de vue, ou encore
quelque ailette plus enveloppante qui protégeait l’épaule des coups de masse ou
faisait dévier le tranchant des épées.
Sur plusieurs lieues, à la suite des
hommes d’armes, s’étirait le train des chariots à quatre roues transportant les
vivres, les forges, les approvisionnements ; après quoi venaient les
équipages des marchands autorisés à accompagner l’armée, et les filles
follieuses par bonnes charretées sous la conduite des patrons de
« bordeaux ».
Le lendemain, la pluie recommença de
tomber, pénétrante, amollissant les routes, ouvrant des ornières, ruisselant
sur les chapeaux de fer, coulant sous les cuirasses, plaquant le poil des
chevaux. Chaque homme pesait dix livres de plus.
Et les jours suivants, la pluie,
toujours la pluie…
L’ost de Flandre n’atteignit jamais
Courtrai. Il s’arrêta à Bondues, près de Lille, devant la Lys gonflée qui
barrait tout passage, débordait sur les champs, effaçait les chemins,
détrempait la terre argileuse. Comme on ne pouvait plus avancer, le camp fut
établi à cet endroit, sous le déluge.
VI
L’OST BOUEUX
À l’intérieur du tref royal, vaste
tente toute brodée de fleurs de lis mais où l’on pataugeait comme ailleurs,
Louis X, entouré de son plus jeune frère, Charles, nouvellement fait comte
de la Marche, de son oncle le comte de Valois, de son chancelier Étienne de
Mornay, écoutait le connétable Gaucher de Châtillon exposer la situation. Le
rapport ne présentait rien d’encourageant.
Châtillon, comte de Porcien et sire
de Crèvecœur, était connétable depuis 1284, c’est-à-dire le tout début du règne
de Philippe le Bel. Il avait vu le désastre de Courtrai, la victoire de
Mons-en-Pévèle, et bien d’autres batailles sur cette frontière du nord,
toujours menacée, où il se trouvait pour la sixième fois de sa vie. Il avait
alors soixante-cinq ans. C’était un homme de moyenne taille, bien charpenté,
que les années ni la fatigue n’amoindrissaient. Son cou plissé sortant de la
cuirasse, ses paupières mi-closes, et la manière qu’il avait de tourner la
tête, lentement, de droite à gauche, le faisaient ressembler à une tortue. Il
paraissait pesant parce qu’il était réfléchi. Sa force physique, son courage au
combat imposaient le respect autant que ses compétences stratégiques. Il avait
trop connu la guerre pour l’aimer encore, et ne la considérait plus que
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