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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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route. Le pain s’obtient de la charité plus
fréquemment que le plaisir. Il se dirigea vers le chariot aux ribaudes…
    Tout auprès se dressait une haute
tente rouge brodée des trois châteaux d’Artois, mais sur laquelle flottait la
bannière de Conches.
    Le campement de Robert d’Artois ne
ressemblait en rien à celui du comte de Poitiers. De ce côté-là, en dépit de la
pluie, ce n’était que mouvement, agitation, rumeur, allées et venues dans un
désordre si général qu’il paraissait voulu. Le lieu donnait l’image d’un marché
en plein vent plus que d’une place de guerre. Des relents de cuir mouillé, de
vin suri, de purin, d’excréments offensaient un peu le nez.
    D’Artois avait loué aux marchands
qui accompagnaient l’armée une partie des champs affectés à sa bannière. Qui
souhaitait acheter un baudrier neuf, remplacer la boucle de son heaume, se
procurer des protège-coudes en fer ou simplement lamper un gobelet de cervoise
ou de piquette, devait venir là. Le désœuvrement, chez le soldat, favorise la
dépense. On tenait foire devant la portière de messire Robert, qui s’était
arrangé pour attirer également dans son coin les filles follieuses, si bien
qu’il en pouvait faire libéralité à ses amis.
    Quant aux archers, arbalétriers,
palefreniers, valets d’armes et goujats, ils avaient été repoussés et
s’abritaient sous des feuillées qu’ils avaient construites, ou bien sous les
chariots.
    À l’intérieur de la tente rouge, on
ne parlait guère poésie. Un tonneau de vin y était constamment en perce, les
cruches circulaient au milieu du vacarme, les dés roulaient sur le couvercle
des coffres ; l’argent se jouait sur parole, et plus d’un chevalier avait
déjà perdu ce que lui aurait coûté sa rançon en bataille.
    Alors que Robert ne commandait
qu’aux troupes de Conches et de Beaumont-le-Roger, un grand nombre de
chevaliers d’Artois, qui dépendaient de la bannière de la comtesse Mahaut, se
trouvaient en permanence chez lui, où ils n’avaient, militairement parlant,
rien à faire.
    Adossé au mât central, Robert
d’Artois dominait de sa taille colossale toute cette turbulence. Le nez bref,
les joues plus larges que le front, et ses cheveux de lion rejetés en arrière
sur sa cotte écarlate, il jonglait négligemment avec une masse d’armes.
Pourtant, il y avait une fêlure dans l’âme du géant, et ce n’était pas sans
motif qu’il désirait s’étourdir de boisson et de bruit.
    — Aux miens, les batailles de
Flandre ne valent guère, confiait-il aux seigneurs qui l’entouraient. Mon père,
le comte Philippe, que beaucoup de vous ont bien connu et fidèlement servi…
    — Oui, nous l’avons
connu !… C’était un preux homme, un vaillant ! répondaient les barons
d’Artois.
    — … mon père fut blessé à
mort au combat de Furnes. C’est dans son tref que nous sommes, disait Robert
accompagnant ces mots d’un large geste circulaire. Et mon grand-père, le comte
Robert…
    — Ah ! Le brave… le bon
suzerain que c’était !… respectant nos bonnes coutumes !… Jamais en
vain on ne lui demandait justice…
    — … quatre années après,
le voilà raide navré à Courtrai. Jamais les deux ne s’en vont sans le
troisième. Demain, peut-être, mes seigneurs, vous me porterez en terre.
    Il est deux sortes de superstitieux :
ceux qui n’évoquent jamais le malheur de peur de l’attirer, et ceux qui
espèrent le détourner en lui accordant un tribut de paroles. Robert d’Artois
était de la seconde espèce.
    — Caumont, verse-moi un autre
gobelet, et buvons à mon dernier jour ! cria-t-il.
    — Nous ne voulons point !
Nous vous ferons rempart de notre corps, répondirent les chevaliers artésiens.
Qui donc, hormis vous, défend nos droits ?
    Ils le considéraient comme leur
suzerain naturel, et l’idolâtraient un peu pour sa taille, sa force, son
appétit, ses largesses. Tous rêvaient de lui ressembler ; tous
s’appliquaient à l’imiter.
    — Or voyez, mes bons seigneurs,
comme on est récompensé de tant de sang versé pour le royaume, reprit-il. Parce
que mon grand-père est mort après mon père… oui, pour cela… le roi Philippe en
a pris occasion de me faire tort de mon héritage et de donner l’Artois à ma
tante Mahaut qui vous traite si bien, avec l’aide de tous ses Hirson, le
chancelier, le trésorier et tous les autres, qui vous écrasent de redevances et
vous refusent vos

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