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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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lendemain matin, faute de charrois et de pouvoir
extraire de la boue tout le matériel, on mit le feu aux tentes, aux meubles, à
l’équipement. L’appétit de destruction se soulageait ainsi.
    Laissant derrière elle, sur de
vastes espaces, des embrasements fumeux qui luttaient contre l’éternelle pluie,
l’armée, fourbue et affamée, se présenta au soir devant Tournai ; les
habitants effrayés fermèrent les portes de la ville ; on n’exigea pas
qu’ils les ouvrissent. Le roi alla demander asile dans un monastère.
    Le surlendemain 7 août, il était à
Soissons, d’où il signa les ordonnances qui mettaient fin à la campagne. Il
chargea Valois des préparatifs du sacre, et envoya Philippe de Poitiers à
Saint-Denis afin d’y rendre l’oriflamme et d’y prendre l’épée et la couronne.
Les princes se retrouveraient entre Reims et Troyes pour se porter au-devant de
Clémence de Hongrie.
    Quatorze jours avaient suffi à Louis
Hutin, pour déposer dans la corbeille de ses secondes noces l’inoubliable
ridicule de l’expédition par lui conduite et qu’on ne désignait déjà plus que
sous le nom d’ ost boueux .
     

VII

LE PHILTRE
    Une litière légère, portée par deux
mules à la tête desquelles couraient des valets, pénétra dans la grande cour de
l’hôtel d’Artois, rue Mauconseil. Béatrice d’Hirson, nièce du chancelier
d’Artois et demoiselle de parage de la comtesse Mahaut, en descendit. Nul
n’aurait pu penser que cette belle fille brune venait de parcourir près de
quarante lieues en deux jours. Sa robe était à peine fripée ; son visage
était lisse et frais comme au sortir du sommeil. D’ailleurs, elle avait dormi
une partie de la route sous de bonnes couvertures, au balancement de la
litière. La poitrine haute, la jambe longue, avançant d’un pas qui paraissait
lent parce qu’il était allongé et toujours égal, elle se rendit directement
auprès de sa maîtresse. La comtesse était attablée devant son second repas,
qu’elle prenait vers tierce.
    — C’est fait, Madame, dit
Béatrice en tendant à la comtesse une minuscule boîte de corne.
    — Comment va ma fille Jeanne ?
    D’une voix traînante, nasale, et
toujours vaguement ironique, même quand il n’y avait aucun motif à ironiser, la
demoiselle de parage répondit, marquant des pauses inattendues :
    — La comtesse de Poitiers va
bien, Madame… aussi bien qu’il se peut. Le séjour de Dourdan ne lui est point
trop pénible… elle a mis de son côté les gardiens. Elle a le teint clair et n’a
que peu maigri ; elle est soutenue par l’espérance… et le soin que vous
prenez d’elle.
    — Ses cheveux ? demanda la
comtesse.
    — Ce sont des cheveux d’un an,
Madame… pas aussi longs encore que des cheveux d’homme ; mais ils semblent
pousser plus drus qu’ils n’étaient avant.
    — Enfin, est-elle
présentable ?
    — Avec une guimpe autour du
visage, assurément… Et puis, elle peut s’orner de fausses nattes.
    — Les faux cheveux ne se
gardent pas au lit, dit Mahaut.
    Elle avala, par grandes cuillerées,
la fin d’un potage aux pois et au lard et, pour s’alléger le palais, but un
gobelet de vin d’Arbois. Puis elle ouvrit la boîte de corne, considéra la
poudre grise qui en formait le contenu.
    — Combien cela me
coûte-t-il ?
    — Vingt-deux livres.
    — Peste, les magiciennes font
bien payer leur science.
    — Elles risquent gros.
    — Combien, là-dessus, as-tu
gardé pour toi ?
    — Presque rien, Madame… Juste
de quoi m’acheter cette robe d’écarlate que vous m’aviez promise… et que vous
ne m’avez point donnée.
    La comtesse Mahaut ne put s’empêcher
de sourire ; cette fille savait comment la prendre.
    — Tu dois avoir le ventre
creux ; goûte un peu à ce pâté de canard, dit-elle en se servant à
elle-même une épaisse tranche.
    Puis, revenant à la boîte de corne,
elle ajouta :
    — Je crois à la vertu des
poisons pour se débarrasser d’un ennemi, mais guère aux philtres pour se gagner
un adversaire. Ce sont tes idées, pas les miennes.
    — Et pourtant, je vous assure,
Madame, qu’il faut y croire, répondit Béatrice. Celui-ci est fort bon ; il
n’est pas fait à la cervelle de mouton… mais seulement aux herbes, et préparé
devant moi. Je suis donc allée à Dourdan, et j’ai tiré un peu de sang du bras droit
de Madame Jeanne. Puis, j’ai porté ce sang à la personne que je vous ai dit,
Isabelle de Fériennes…

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