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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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roi peut toujours changer de connétable.
    Un pénible silence s’ensuivit.
L’affaire prenait un mauvais tour. Pour complaire à Valois, Louis X
allait-il révoquer le chef des armées, comme il avait destitué Marigny et tous
les légistes de Philippe le Bel ?
    Le comte de Poitiers immédiatement
intervint.
    — Mon frère, je partage
entièrement le conseil de Gaucher. Nos troupes ne sont point en mesure de
combattre sans s’être restaurées une bonne semaine.
    — C’est aussi mon avis, dit le
comte Louis d’Évreux.
    — Alors, on ne châtiera donc
jamais ces Flamands ! s’écria Charles de la Marche qui se plaisait à
copier Valois.
    Le connétable eut pour le plus jeune
frère du roi un regard de mépris. « L’oison », comme l’appelait sa
propre mère la reine Jeanne, avait parlé.
    Sur quoi le comte de Champagne
annonça qu’il s’en irait si on ne livrait pas bataille le lendemain ; ses
chevaliers s’agitaient trop, et, de toute manière, il ne les avait levés que
pour deux semaines. Valois écarta ses mains chargées de bagues, comme pour
dire : « Vous voyez ! » Mais il semblait déjà moins
convaincu, et seul l’amour-propre l’empêchait de revenir sur ses opinions belliqueuses.
    — Retraite ou défaite, Sire,
voilà le choix, dit Gaucher.
    Le roi ne donnait toujours pas signe
de savoir à quel parti se résoudre. Toute cette équipée ne faisait de sens pour
lui que rapidement menée. Prendre la décision de la sagesse, se regrouper
ailleurs, attendre, c’était repousser d’autant l’heure de son mariage, et
obérer un peu plus ses finances. Quant à prétendre franchir une rivière en crue
et charger au galop dans la boue…
    Au vrai, il avait pensé qu’il ne
serait pas obligé de charger, et que les Flamands céderaient devant le seul
déploiement d’un ost si formidable.
    Robert d’Artois, qui se tenait assis
derrière Valois, se pencha vers celui-ci et lui murmura quelques mots. Valois
approuva de la tête, d’un air indifférent. Qu’on fît ce qu’on voudrait ;
il se retirait du débat.
    Robert alors se leva et, s’avançant
de trois pas pour mieux dominer l’assemblée :
    — Sire mon cousin, dit-il, je
devine votre souci. Vous n’avez point assez de moyens d’argent pour maintenir
ce grand ost à ne rien faire. En outre, votre nouvelle épouse vous attend, que
nous avons tous hâte à voir reine, comme nous avons hâte à vous voir sacré. Mon
conseil est qu’il ne faut point s’obstiner. Ce n’est pas l’ennemi qui nous
oblige à rebrousser ; c’est cette pluie où je vois la volonté de Dieu
devant laquelle tout un chacun, si puissant qu’il soit, doit s’incliner. Notre
Seigneur sans doute vous signifie ainsi de ne pas combattre avant d’avoir été
oint des Saintes Huiles. Vous tirerez autant de gloire, mon cousin, d’un beau
sacre que d’une bataille aventureuse. Renoncez donc pour le moment à châtier
ces mauvais Flamands, et, si la peur que vous leur avez inspirée ne suffit
point, revenons en même nombre au prochain printemps.
    Dans l’embarras où l’on piétinait,
cette solution radicale, celle du renoncement, proposée par un homme dont on ne
pouvait suspecter le courage aux armes, reçut l’assentiment d’une grande partie
des barons, et tout d’abord celui du roi. Montrant une fois de plus son manque
de pondération, Louis X se rua avec empressement et reconnaissance dans
l’échappée que d’Artois lui découvrait.
    — Mon cousin, vous avez parlé
sagement, déclara-t-il. Le ciel nous manifeste son avertissement. Que l’armée
reparte donc, puisqu’elle ne peut poursuivre.
    Puis, enflant la voix pour se donner
de la majesté, il ajouta :
    — Mais je jure Dieu que si je
suis encore en vie l’an prochain, j’irai envahir les Flamands et n’aurai avec
eux nulle accordance qu’ils ne s’abandonnent en tout à ma volonté.
    Il n’eut plus alors d’autre souci
que de déloger. Il fallut au connétable et à Philippe de Poitiers beaucoup
d’insistance pour le convaincre de mesures indispensables, comme de maintenir
au moins quelques garnisons le long de la frontière de Flandre ; il ne les
entendait plus ; il était déjà parti.
    Dans cette dispersion, Valois
trouvait son compte. Il avait maintenu à peu de frais sa réputation héroïque.
D’Artois y trouvait le sien mieux encore ; la guerre manquée profitait à
sa ligue.
    Telle était la hâte du roi qu’elle
se fit contagieuse et que le

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