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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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comtesse de
Poitiers, allait répandre drame et désastre dans un petit manoir, à dix lieues
de Paris.
    Marie de Cressay, depuis quelques
semaines, avait le visage ravagé d’angoisse et de chagrin. Elle répondait à
peine aux questions qu’on lui posait. Ses yeux bleu sombre s’étaient agrandis
d’un cerne mauve ; une petite veine se dessinait sur sa tempe
transparente. Il y avait de l’égarement dans son attitude.
    — Ne va-t-elle pas nous faire
un mal de langueur, comme l’autre année ? disait son frère Pierre.
    — Mais non, elle ne maigrit
pas, répondait dame Eliabel. Une impatience d’amour, voilà ce qui la
tient ; et ce Guccio lui trotte par la tête. Il est grand temps de la
marier.
    Mais le cousin de Saint-Venant,
pressenti par les Cressay, avait répondu que les affaires de la ligue d’Artois
l’occupaient trop, dans le moment, pour qu’il pût songer au mariage.
    — Il a dû s’enquérir de l’état
de nos biens, disait Pierre de Cressay. Vous verrez, ma mère, vous
verrez ; nous regretterons peut-être d’avoir écarté Guccio.
    Le jeune Lombard continuait d’être
reçu de temps à autre au manoir où l’on feignait de le traiter en ami, comme
par le passé. La créance de trois cents livres courait toujours, ainsi que ses
intérêts. D’autre part, la disette n’était pas terminée, et les Cressay
n’avaient pas été sans s’apercevoir que le comptoir de Neauphle ne se trouvait
pourvu de vivres que les jours, précisément, où Marie s’y rendait. Jean de Cressay,
par un souci de dignité, demandait parfois à Guccio le compte de leurs
dettes ; mais, une fois la note en main, il négligeait d’en acquitter la
moindre partie. Et dame Eliabel laissait sa fille aller à Neauphle, une fois la
semaine, mais la faisait maintenant accompagner de la servante et lui mesurait
soigneusement le temps.
    Les entrevues des époux clandestins
étaient donc rares. Mais la jeune servante se montrait sensible à la générosité
de Guccio et, de plus, Ricardo, le premier commis, ne lui était pas
indifférent ; elle rêvait d’une position bourgeoise et s’attardait
volontiers parmi les coffres et les registres, écoutant l’agréable tintement de
l’argent dans les balances, tandis que le premier étage de la banque abritait
des amours pressées.
    Ces minutes, dérobées à la
surveillance de la famille Cressay et aux interdits du monde, avaient d’abord
été comme des îlots de lumière pour cet étrange ménage qui ne comptait pas
encore dix heures de vie commune. Guccio et Marie vivaient sur le souvenir de ces
instants-là pendant une semaine entière ; l’émerveillement de leur nuit de
noces ne s’était pas démenti. Aux dernières rencontres, toutefois, Guccio avait
noté un changement dans l’attitude de sa jeune femme. Lui aussi, comme dame
Eliabel, avait remarqué chez Marie l’anxiété du regard, la tristesse, et
l’ombre neuve qui lui mangeait les joues.
    Il attribuait ces signes aux
difficultés et aux menaces qui pesaient sur leur situation, fausse s’il en fût.
Le bonheur dispensé à la petite mesure, et toujours enveloppé des haillons du
mensonge, devient vite une torture. « Mais c’est elle-même qui s’oppose à
ce que nous déchirions le silence ! se disait-il. Elle prétend que sa
famille ne voudra jamais reconnaître notre union et me fera poursuivre. Et mon
oncle est de même avis. Alors, que faire ? »
    — De quoi vous inquiétez-vous,
ma bien-aimée ? lui demanda-t-il le troisième jour de juin. Voici
plusieurs fois que nous nous voyons et que vous paraissez moins heureuse. Que
craignez-vous ? Vous savez bien que je suis là pour vous défendre de tout.
    Devant la fenêtre s’épanouissait un
cerisier en fleurs, tout bruissant d’oiseaux et de guêpes. Marie se retourna,
les yeux humides.
    — De ce qu’il m’advient, mon
doux aimé, répondit-elle, vous-même ne pouvez point me défendre.
    — Que vous arrive-t-il
donc ?
    — Rien que ce qui doit, par
Dieu, me venir de vous, dit Marie en baissant la tête.
    Il voulut s’assurer d’avoir bien
compris.
    — Un enfant ?
murmura-t-il.
    — Je craignais de vous
l’avouer. J’ai peur que vous m’en aimiez moins.
    Il resta quelques secondes sans
pouvoir prononcer un mot, parce qu’aucun ne lui venait aux lèvres. Puis, il lui
prit le visage dans ses mains et la força de le regarder.
    Comme presque tous les êtres
destinés aux folies de la passion, Marie avait un

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