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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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les frères Cressay
fouillaient la maison, et passaient leur colère sur les meubles, Guccio courut
à l’écurie. La nuit lui porta encore la voix de Ricardo qui gémissait :
    — Mes livres ! Mes
livres !
    Guccio pensa : « Tant
pis ; ils ne parviendront pas à faire sauter les coffres. »
    La lune donnait assez de clarté pour
lui permettre de passer en hâte une bride à son cheval ; il le sella à
l’aveuglette, empoigna la crinière pour s’aider à monter, et s’échappa par la
porte du jardin. Ce fut ainsi qu’il quitta sa banque.
    Les frères Cressay, entendant son
galop, se précipitèrent aux fenêtres de la maison.
    — Il fuit, le couard, il
fuit ! Il prend le chemin de Paris. Holà ! Manants, sus à lui ;
qu’on lui coupe la route !
    Personne, évidemment, ne bougea.
    Les deux frères alors surgirent du
comptoir et se lancèrent à la poursuite de Guccio.
    Mais la monture du jeune Lombard, un
coursier de belle race, sortait fraîche de sa stalle. Les chevaux des Cressay
étaient de pauvres bidets de campagne, qui avaient déjà fait leur journée. Vers
Rennemoulins, l’un d’eux se mit à boiter si bas qu’il fallut
l’abandonner ; et les deux frères durent monter sur le même cheval qui, de
surcroît, étant cornard, produisait avec les naseaux un bruit de râpe à bois.
    Si bien que Guccio eut le temps de
gagner une large avance. Il arriva rue des Lombards à l’aurore, et sortit son
oncle du lit.
    — Le moine ? Où est le
moine ? lui demanda-t-il.
    — Quel moine, mon garçon, que
t’arrive-t-il ? Tu veux entrer dans les ordres, maintenant ?
    — Mais non, oncle Spinello, ne
vous moquez point. Il me faut retrouver le moine qui a prononcé mon mariage. On
me poursuit et je suis en péril de la vie !
    Il conta d’une traite son
histoire ; il lui était indispensable d’obtenir le témoignage du moine.
    Spinello Tolomei l’écoutait, un œil
ouvert, l’autre fermé. Il bâilla à deux reprises, ce qui irrita Guccio.
    — Ne t’agite pas tant. Le moine
est mort, dit enfin Tolomei.
    — Mort ?… fit Guccio.
    — Eh oui ! La sottise de
te marier t’aura au moins évité la sottise de mourir ; car si tu étais
allé, comme Monseigneur Robert le voulait, porter son message aux alliés
d’Artois, tu n’aurais sans doute plus à t’inquiéter pour les petits-neveux que
tu me donnes sans que je t’y aie encouragé. Fra Vicenzo a été occis du côté de
Saint-Pol par les gens de Thierry d’Hirson. Il avait sur lui cent livres à moi.
Ah ! Monseigneur Robert me coûte cher !
    Tolomei sonna son valet pour qu’il
lui apportât un bassin d’eau tiède et ses vêtements.
    — Mais comment vais-je faire,
oncle Spinello ? Comment prouver que je suis vraiment l’époux de
Marie ?
    — Ce n’est pas là le plus
important, dit Tolomei. Quand bien même ton nom et celui de ta donzelle
seraient proprement écrits sur un registre, cela ne changerait rien. Tu n’en
aurais pas moins épousé une fille noble sans le consentement des siens. Les
gaillards qui te poursuivent peuvent bien te tirer le sang du corps, ils n’ont
rien à risquer. Ils sont nobles, et ces gens-là peuvent massacrer impunément.
Ils auront au plus à payer l’amende due pour la vie d’un Lombard, et qui n’est
pas très élevée. Il est possible même qu’on les complimente.
    — Eh bien ! Je me suis mis
dans de beaux linceuls.
    — Tu peux le dire, fit Tolomei
en plongeant son visage dans l’eau.
    Il s’ébroua une minute, se sécha
avec une toile.
    — Allons, ce n’est pas encore
aujourd’hui que j’aurai le temps de me faire raser. Ah ! J’ai été aussi
sot que toi…
    Il était visiblement soucieux.
    — Ce qu’il faut d’abord, c’est
te mettre à couvert, reprit-il. Tu ne peux te cacher chez aucun Lombard. Si tes
poursuivants ont ameuté un village, ils vont aussi bien requérir le prévôt de
Paris, et ne te trouvant pas ici, envoyer le guet fouiller chez tous les
nôtres. Je vais avoir bon visage, devant les autres compagnies… Laisse-moi
penser… Ah si ! Il y a ton ami Boccace, le voyageur des Bardi.
    — Mais mon oncle, il est
Lombard autant que nous, et en outre, il est hors de France pour le moment.
    — Oui, mais il plaît à une dame
qui est bourgeoise de Paris et dont il a eu un enfant sans mariage. Elle est
gentille personne, je le sais ; et elle, au moins, elle comprendra ton
affaire. Tu vas aller lui demander gîte… Et puis, moi, je me

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