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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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été dite, avec un demi-sourire. Entre elle et la comtesse d’Artois
venait de se glisser cette complicité que fait naître un goût partagé pour le
luxe et les œuvres de l’art humain.
    Tandis que la reine continuait à
montrer à Jeanne les tapisseries des murs, Mahaut se dirigea vers celles qui
isolaient le lit royal, auprès duquel elle avait vu une coupe pleine de
dragées.
    — Le roi s’est-il entouré, lui
aussi, de tapis à images ? demanda-t-elle à Clémence.
    — Non, Louis n’a pas encore de
tentures dans sa chambre. Il faut dire qu’il y dort bien peu.
    — Cela prouve qu’il goûte fort
votre compagnie, ma cousine, répliqua Mahaut d’un ton gaillard. D’ailleurs,
quel homme n’apprécierait pas créature si bellement faite !
    — J’avais craint, reprit
Clémence avec l’impudeur tranquille des âmes pures, que Louis n’allât s’écarter
de moi parce que j’étais grosse. Eh bien ! nullement. Et nous dormons fort
chrétiennement !
    — J’en suis aise, vraiment bien
aise, dit Mahaut. Il continue de dormir avec vous ! Le bon époux que vous
avez là. Le mien, que Dieu garde, n’en faisait pas autant.
    Elle était arrivée à côté de la
table de chevet.
    — Puis-je… ma cousine ?
demanda-t-elle en désignant la coupe. Savez-vous que vous m’avez donné le goût
des dragées ?
    En dépit des maux de dents dont elle
souffrait toujours, elle prit une dragée et la croqua stoïquement.
    — Oh ! celle-ci était
faite d’une amande amère, j’en prends une autre.
    Tournant le dos à la reine et à
Jeanne de Poitiers, qui se tenaient à moins de cinq pas, Mahaut sortit de son
aumônière une dragée fabriquée chez elle et la glissa dans la coupe.
    « Rien ne ressemble à une
dragée comme une autre dragée, se dit-elle, et s’il trouve celle-ci un peu âcre
à la langue, il pensera que c’est l’amertume de l’amande. »
    Elle revint vers les deux femmes.
    — Allons, Jeanne, reprit-elle,
dites maintenant à Madame votre belle-sœur ce que vous avez sur le cœur, et que
vous vouliez tant lui faire savoir.
    — En vérité, ma sœur, dit
Jeanne un peu hésitante, je voulais vous confier ma peine.
    « Nous y sommes donc, pensa
Clémence, je vais savoir pourquoi elles sont venues. »
    — Voici que mon époux est fort
loin, continua Jeanne, et cette absence m’inquiète l’âme. Ne pourriez-vous
obtenir du roi que Philippe revînt pour le moment de mes couches ? C’est
un temps où l’on n’aime guère savoir son mari éloigné. C’est faiblesse,
peut-être ; mais on se sent comme protégée, et l’on craint moins les
douleurs si le père est proche. Vous connaîtrez bientôt ce sentiment, ma sœur.
    Mahaut s’était gardée de mettre
Jeanne dans la confidence de son entreprise, mais elle se servait de sa fille
pour en réaliser les préparatifs. « Si le coup réussit, avait-elle
imaginé, il conviendrait que Philippe fût à Paris au plus tôt afin d’y saisir
la régence. »
    La requête de Jeanne était des mieux
faites pour émouvoir Clémence. Celle-ci, qui avait craint qu’on ne lui parlât
de l’Artois, se sentit presque soulagée dès lors qu’il ne s’agissait que d’un
appel à sa bonté. Elle promit de s’employer à ce que le souhait de Jeanne fût
exaucé.
    Jeanne lui baisa les mains, et
Mahaut l’imita en s’écriant :
    — Ah ! que vous êtes bonne
dame ! Je disais bien à Jeanne qu’il n’y avait de recours qu’auprès de
vous !
    En sortant de Vincennes pour
regagner Conflans, Mahaut pensait : « Voilà qui est fait… Maintenant,
il nous faut attendre. Quand la mangera-t-il ? Ce soir peut-être, ou bien
dans trois jours. À moins que Clémence… Elle n’est point friande de
sucre ; mais pourvu qu’elle n’aille pas, par une envie de femme grosse, croquer
justement celle-là ! Bah ! Ce serait tout de même atteindre Louis, en
lui ôtant du coup sa femme et son enfant… Il se peut aussi que le valet de la
chambre renouvelle les dragées avant qu’elles soient épuisées. Alors le travail
serait à refaire… »
    — Vous êtes bien silencieuse,
ma mère, s’étonna Jeanne. Cette entrevue s’est fort aimablement passée. En
avez-vous quelque déplaisir ?
    — Nullement, ma fille,
nullement, répondit Mahaut. C’est une utile démarche que nous avons accomplie
là.
     

IX

LE MOINE EST MORT
    Or le même événement naturel qui,
pour l’heure, à la cour de France, comblait de joie la reine et la

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