Les Poisons de la couronne
Et puis, ce moine
italien pouvait aussi bien être un faux moine. Non, décidément, dame Eliabel ne
croyait pas à la mauvaise fable de ce prétendu mariage.
— À ma mort, vous entendez, ma mère,
à ma mort je ne confesserai rien d’autre ! répétait Marie.
La tempête dura une grande
heure ; enfin dame Eliabel enferma sa fille à double tour.
— Au couvent ! C’est au
couvent des filles repenties que tu vas aller, lui lança-t-elle à travers la
porte.
Et Marie s’écroula en sanglots parmi
ses robes éparses.
Dame Eliabel dut attendre jusqu’au
soir, pour mettre ses fils au courant, qu’ils fussent rentrés des champs. Le
conseil de famille fut bref. La colère saisit les deux garçons, et Pierre, le
cadet, se sentant presque fautif d’avoir jusque-là soutenu Guccio, se montra le
plus exalté et le plus porté aux solutions de vengeance. On avait déshonoré
leur sœur, on les avait abominablement trahis sous leur propre toit ! Un
Lombard ! Un usurier ! Ils allaient le clouer par le ventre à la
porte de son comptoir.
Ils s’armèrent de leurs épieux de
chasse, ressanglèrent leurs chevaux et coururent à Neauphle.
Or, ce soir-là, Guccio, trop agité
pour trouver le sommeil, marchait à travers le jardin. La nuit était constellée
d’étoiles, imprégnée de parfums ; le printemps d’Ile-de-France à son
apogée chargeait l’air d’une fraîche saveur de sève et de rosée.
Dans le silence de la campagne,
Guccio entendait avec plaisir ses semelles crisser… un pas fort, un pas faible…
sur les graviers, et sa poitrine n’était pas assez large pour contenir sa joie.
« Et dire qu’il y a six mois,
pensait-il, je gisais sur ce mauvais lit d’hôtel-Dieu… Comme vivre est
bon ! »
Il rêvait. Alors que son destin
était déjà joué, il rêvait à son bonheur futur. Il voyait déjà croître autour
de lui une progéniture nombreuse, née d’un merveilleux amour, et qui mêlerait
dans ses veines le libre sang siennois au noble sang de France. Il allait être
le grand Baglioni, chef d’une puissante dynastie. Il songeait à franciser son
nom, à devenir Balion de Neauphle ; le roi lui conférerait bien une
seigneurie, et le fils que portait Marie, car il n’était pas douteux que ce fût
un garçon, serait un jour armé chevalier.
Il ne sortit de ses songes qu’en
entendant une galopade crépiter sur les pavés de Neauphle, et puis s’arrêter
devant le comptoir ; le heurtoir de la porte résonna avec violence.
— Où est-il ce coquin, ce
pendard, ce Juif ? cria une voix que Guccio reconnut aussitôt pour celle
de Pierre de Cressay.
Et comme on n’ouvrait pas assez
vite, des manches d’épieux se mirent à cogner sur le battant de chêne. Guccio
porta la main à sa ceinture. Il n’avait pas sa dague sur lui. Le pas de
Ricardo, pesant, descendait l’escalier.
— Voilà, voilà !
J’arrive ! disait le premier commis d’une voix d’homme mécontent d’être
tiré de son sommeil.
Puis il y eut un bruit de verrous
tirés, de barres qu’on glissait et, aussitôt après, les éclats d’une discussion
furieuse dont Guccio ne saisit que des bribes.
— Où est ton maître ? Nous
voulons le voir sur-le-champ !
Guccio ne percevait pas les réponses
de Ricardo, mais la voix des frères Cressay reprenait, plus forte :
— Il a déshonoré notre sœur, ce
chien, cet usurier ! Nous ne partirons point que nous n’ayons sa
peau !
La discussion se termina par un
grand cri. Ricardo venait certainement d’être frappé.
— Fais-nous de la lumière,
ordonnait Jean de Cressay.
Et Guccio saisit encore la voix de
Pierre qui lançait à travers la maison :
— Guccio ! Où te
caches-tu ? Tu n’as donc de courage que devant les filles ? Ose donc
apparaître, lâche puant !
Des volets s’étaient entrouverts aux
fenêtres de la place. Les villageois écoutaient, chuchotaient, ricanaient, mais
nul d’entre eux ne se montra. Un scandale est toujours divertissant ; et
le tour joué à leurs petits seigneurs, à ces deux garçons qui les traitaient de
si haut et les requéraient sans cesse pour des corvées, leur procurait un
certain plaisir. À choisir, ils préféraient le Lombard, sans aller toutefois
jusqu’à risquer la bastonnade pour lui.
Guccio ne manquait pas de
bravoure ; mais il lui restait un grain de cervelle. Il eût tiré peu de
profit, n’ayant pas même un stylet au côté, d’affronter deux furieux en armes.
Tandis que
Weitere Kostenlose Bücher