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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera
Autoren: Michel Peyramaure
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semaine après notre débarquement, l’ordre fut donné de nous enfermer dans le lazaret du fort Saint-Nicolas, en marge du Vieux-Port. J’avais l’impression que l’on se servait de notre chiourme comme de figurants pour un drame antique auquel ne manquaient que les spectateurs.
    Dans la forteresse, nous ne fumes guère mieux traités qu’à Cabrera, et pire que sur la  Médée  : nourriture frugale, vieilles paillasses d’hôpital, rations d’eau mesurées, interdiction de quitter nos cellules, en dehors des moments de promenade, et de recevoir des visites…
    Dans ce chambardement, nous avions été, Marguerite et moi, séparés, elle conduite avec son fils dans une partie du bâtiment réservé aux femmes. Je conserve le souvenir d’elle en pleine discussion avec un officier pour garder André avec elle. Puis elle avait disparu sous un porche, et je ne l’ai plus jamais revue. Cela nous avait épargné les pénibles instants des adieux.
     
    Une quinzaine après notre internement, nous eûmes l’honneur de recevoir, dans la cour de Saint-Nicolas, le général Georges Mouton, comté de Lobau, ancien officier de Napoléon, blessé à Friedland, héros des campagnes d’Espagne et de Russie. Entouré d’une commission de fringants officiers de l’armée royale, il effectuait une inspection, en vue de procéder à la réforme des moins valides. Il interrogea certains prisonniers sur leur mode de vie et leur confort, un mot malheureux qui suscita des sarcasmes et des rires.
    Dans la soirée, il réunit quelques sous-officiers, dont je fus, auxquels il confia, avec une mine attristée :
    — Je compatis à votre situation, mes amis, mais c’est à « l’ogre de Corse » qu’il faut vous en prendre. Fort heureusement, de son exil de l’île d’Elbe, il est désormais hors d’état de nuire.
    Comme des protestations montaient autour de lui, il bougonna :
    — Comment, après toutes les misères que vous avez subies par sa faute, pouvez-vous garder son souvenir dans votre cœur ? Avez-vous oublié les millions d’hommes sacrifiés à ses ambitions ?
    Il avait reçu du roi l’ordre de diviser les anciens de Cabrera en compagnies et de les faire transporter en Corse, la quarantaine achevée. Nous changerions d’île, à croire que nous avions une vocation d’insularité ! Un frisson de colère courut dans nos rangs, si violent que je crus ces excités sur le point de jeter ce bellâtre et ses officiers par-dessus bord. Ce n’est pas en Corse que nous voulions aller, mais dans nos familles !
    Le général et ses suivants parvinrent non sans peine à rétablir l’ordre et le silence pour nous assurer qu’ils interviendraient auprès du ministre pour faire annuler cette décision.
    — En attendant, mes amis, vous devrez…
    Le général n’acheva pas sa phrase. Alertée, comment et par qui je l’ignore, une foule composée principalement de femmes s’était massée devant la porte du lazaret. Nous les entendions réclamer à grands cris notre libération, l’annulation du transfert en Corse, et menacer de s’en prendre aux sentinelles pour forcer les portes !
    Le soir, au cours de la distribution de la soupe, un gardien nous dit :
    — J’ai appris qu’il y a parmi vos hommes de nombreux citoyens de cette ville. Alors, ne soyez pas surpris de ce tintamarre. Des familles, des amis, des connaissances ont été alertés et se sont mobilisés quand le bruit de votre transfert en Corse a couru. Les plus ardentes à protester, ce sont les femmes. Tonnerre de sort, ces sacrées garces, ce qu’elles veulent, elles l’obtiennent ! Elles seraient capables d’aller trouver le roi, comme la foule qui a envahi Versailles pour ramener à Paris le boulanger et sa famille ! Alors elles ne vont pas lâcher le morceau, ces bougresses, vous pouvez me croire !
    Le lendemain, les « bougresses » étaient de retour, plus remontées encore que la veille. Munies de haches, elles dispersèrent les sentinelles, qui n’osèrent pas se servir de leurs fusils. La porte étant fermée, elles attaquèrent la serrure et, l’ayant fait céder, se répandirent dans la cour.
    C’était l’heure de la promenade. Leur ruée s’immobilisa et un lourd silence succéda à leurs clameurs, face au spectacle de ces pauvres hères vêtus de défroques défraîchies, au visage tuméfié par la gale, qui
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