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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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leurs bourreaux à l’issue des séances de torture.
    J’ai conscience de l’absurdité de cette réaction, mais elle m’a obsédé tout au long du voyage de retour, tandis qu’accoudé au bastingage côté de Marguerite, vêtue comme moi à la façon des bourgeois, je regardais apparaître et disparaître, après celles de Cabrera, les côtes lumineuses d’Andalousie, du Levant et de la Catalogne.
     
    Il semble que le malheur, qu’il s’acharne sur un individu ou sur une collectivité, s’incruste comme un chancre impossible à guérir.
    En entrant dans le golfe du Lion, la nostalgie de Cabrera m’obsédait. J’allais bientôt retrouver ma femme, mon fils, mes habitudes passées, sans en éprouver une joie débordante. Au-delà de cette perspective, l’horizon s’embrumait. Encore jeune, vite rétabli après quelques semaines de repos, j’aurais le choix entre l’exploitation de mes terres plantées en vignes, en noyeraies, en truffières, et propres à l’élevage. Sans rouler sur l’or, je pourrais mener la vie de gentilhomme campagnard dont je rêvais à Cabrera, mais cette version de mon avenir s’était estompée et ne me tentait plus. Reprendre du service sous les fleurs de lys après les aigles ? Quémander une charge officielle qui ne m’éloignerait pas de mon domaine ? Pas davantage.
    J’appréhendais le moment où je devrais me séparer de Marguerite. Je n’allais pas la présenter à mon épouse en lui disant que nos rapports avaient été chastes et qu’elle pourrait suppléer notre cuisinière, qui avait fait son temps et que Juliette avait dû renvoyer. Mon épouse me croirait-elle ? Cette initiative ne s’imposait pas, du fait que ma compagne cabrérienne avait encore, à Lille, une famille propriétaire d’un estaminet, qui lui trouverait une place dans le service.
    Je m’esclaffais discrètement quand je la voyais évoluer sur le pont, déguisée en bourgeoise d’avant la Révolution et fumant des cigares qui lui faisaient oublier les ignobles tabagies de Cabrera. J’avais tant l’habitude de la voir se promener nue que cette tenue me paraissait indécente. Elle devait penser de même de moi, dans mon habit de notaire un peu fripé. Afin de ressembler, disait-elle, à un être humain, elle avait coupé sa magnifique chevelure que j’épouillais et peignais chaque matin. Elle attirait l’attention des matelots et je ne jurerais pas qu’elle se fût refusée longtemps à leur convoitise.
     
    La crainte que j’avais pressentie des conditions de notre retour à terre allait se confirmer : une quarantaine dans un lazaret nous attendait.
    Autant je pouvais admettre un examen sanitaire, notre état de morts vivants y contraignant les autorités portuaires, autant je trouvais absurde et inhumain qu’au sortir d’un bagne on nous enfermât dans une forteresse.
    Lorsque cette nouvelle nous fut annoncée, mes voisins s’indignèrent. L’un d’eux, juché sur une écoutille, s’écria :
    — Camarades, nous sommes montés sur ce navire persuadés que nous allions retrouver la liberté et le droit de rejoindre nos familles, et voilà qu’on nous jette en prison ! On nous traite comme des pestiférés, mais nous allons refuser cet internement et nous verrons bien qui aura le dernier mot !
    Un officier du port lui succéda pour nous informer que les autorités de Marseille n’avaient reçu aucun ordre annonçant notre venue. Rien n’étant prêt à nous recevoir, il faudrait attendre, la quarantaine devant être respectée. Des vociférations retentirent, de la proue à la poupe de la  Médée  :
    — Attendre ? Voilà deux mille deux cent trois jours que je ne fais que ça !
    — On nous méprise parce que nous avons été des soldats de l’Empereur !
    — Vive Napoléon, nom de Dieu !
    — Va dire à Dupont qu’après nous avoir foutus dans la merde il doit nous en sortir !
    — Il se fiche bien de nous, dans son fauteuil de ministre !
    — Ministre de mes fesses, oui !
    Un cavalier de la Garde bouscula l’officier et lança cette apostrophe digne des tribuns de la Convention, que j’ai gardée en mémoire :
    — Camarades, nous constatons une nouvelle fois qu’il est dans ce pays des cœurs aussi insensibles que la roche Tarpéienne et toujours prêts à mépriser des victimes innocentes. Que le bandeau de l’infamie reste suspendu sur leur tombe !
    Une

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