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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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un an, Juliette n’avait pas donné de ses nouvelles, je franchirais le pas.
     
    Je retrouvai dans les papiers de Juliette ma dernière lettre, adressée par la poste des Armées. J’avais ajouté, en addenda : « Ma chère femme, embrasse notre petit Eugène de la part de son père, et dis-lui que je l’aime autant que sa maman. » Soudain j’ai ressenti tout le poids de ma solitude et l’intensité de l’amour dont j’avais été spolié.
    C’était par le printemps de l’année 1808, alors que le capitaine de Puymège, aide de camp du général Dupont, faisait ses préparatifs pour fondre sur l’Andalousie, que débutait mon récit. Le reste avait suivi avec une surprenante facilité, comme on tire le fil d’une bobine, sans qu’à aucun moment j’éprouve la moindre lassitude ou quelque embarras. J’avais parfois l’impression d’écrire un roman, sauf que je m’attachais surtout à la vérité des personnages et des événements. Si j’ai commis quelques erreurs, que l’on me pardonne : les historiens en font aussi.
    J’eus la chance de découvrir chez un libraire de Brive des récits de témoins de la guerre d’Espagne. Ils m’ont été d’un grand secours.
    En visite chez Marcellin Marbot, dans sa résidence d’Altillac, au sud de la Corrèze, j’ai eu connaissance du copieux volume qu’il a consacré à sa carrière. C’est un authentique héros ; chacune de ses dix blessures reçues au combat témoigne de son courage et pourrait illustrer une histoire héroïque.
    C’était en janvier 1816, avant son départ pour un exil de deux ans dans la forteresse d’Offenbach, en Hesse. Se souvenant de nos relations à Madrid, il m’a accueilli avec courtoisie et m’a permis de tirer parti, au cours des trois jours passés dans son château de La Rivière, de ses mémoires qu’il compte faire imprimer lorsque la situation du pays le lui permettra.
     
    Au début du printemps 1818, alors que j’aidais Delpeyroux à redresser des clôtures endommagées par un gros orage, j’ai aperçu une calèche montant vers le château.
    Intrigué, je laissai mon fermier poursuivre sans moi pour m’avancer vers le portail devant lequel le véhicule s’était arrêté. La couverture de la calèche baissée, je ne pus deviner si j’avais affaire à un homme ou à une femme. Il s’agis­sait d’une femme. Elle était vêtue de sombre et portait une voilette. Je l’invitai à descendre de sa voiture et l’y aidai.
    — Madame, lui dis-je en baisant au poignet sa main gantée, j’ignore le but de votre visite, mais soyez la bienvenue. Je vais faire entrer votre calèche dans la cour. Vous avez un robuste cheval, mais il semble fatigué. Vous de même, peut-être ?
    — Merci de votre obligeance, me dit-elle en soulevant sa voilette. J’espère que je ne vous dérange pas trop. Vous étiez en plein travail et…
    — Le temps ne me presse guère, madame, et ce n’est pas tous les jours que j’ai une aussi agréable visiteuse.
    Cette dame était, en apparence, une femme d’environ quarante ans. Peut-être moins en raison de son teint frais, sans une ride ; peut-être plus, à en juger par les mèches grises qui dépassaient de sa toque.
    — Monsieur Laurent de Puymège, dit-elle avec un sourire, je suis un peu déçue. Ai-je tant changé pour que vous ne me remettiez pas ? Il est vrai que nous nous sommes perdus de vue depuis près de dix ans. Vous même n’avez pas vieilli, du moins pas trop. Votre jambe vous fait-elle toujours souffrir ?
    Le sol se dérobant sous moi, je m’accrochai à la bride jugulaire du cheval en bredouillant :
    — Pardonnez-moi… ma… madame… Vous êtes… tu es…
    — Eh bien, oui ! Juliette, ton épouse légitime. Tu as été long à me reconnaître, mais je ne saurais t’en tenir rigueur. Le temps, les événements…
    Je lui demandai d’où elle venait. Elle avait rendu visite à son vieux père qui, après l’avoir reconnue, lui avait fermé sa porte en disant qu’elle n’était plus sa fille et exigeant qu’elle renonce à le voir.
    — Puis-je finir d’entrer ? me dit-elle, à la mode du pays.
    — Je n’ai pas à t’y inviter. Tu es chez toi.
    Je pris le cheval au mors et conduisis la calèche dans la cour. Elle me dit en chemin, en me prenant le bras :
    — J’ai longtemps hésité avant de revenir. Je voulais savoir si je

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