Les Rapines Du Duc De Guise
son
insistance, n’ayant d’autre occupation en attendant Navarre. Vaincu, il s’était
attelé à la corvée.
Le passé lui était revenu par bribes, avec une
oppressante nostalgie. Ses parents… ses études… comment, à peine à vingt ans
passés, il était devenu le secrétaire de Coligny.
L’amiral de Coligny ! Un homme dur, ambitieux,
impitoyable, mais qu’il admirait toujours. Il avait encore le cœur serré quand
il songeait à sa mort tragique, d’autant qu’il savait que lui, Mornay, en était
la cause, comme il était aussi à l’origine de cet effroyable massacre…
En ce mois d’août 1572, l’amiral était devenu
le premier des ministres du roi Charles IX, qui l’appelait son père. Entre
les catholiques et les protestants modérés, une authentique réconciliation
semblait encore possible. À la fin du mois, le mariage d’Henri de Navarre avec
Marguerite, la sœur du roi, allait définitivement sceller cette entente.
Mais quel meilleur ciment entre d’anciens
ennemis que de se battre, ensemble, épaule contre épaule, contre un ennemi
commun ? C’était l’idée de Philippe de Mornay : « Le remède
contre les guerres civiles est d’employer la nation belliqueuse sur les terres
d’autrui car peu de Français quittent leur épée quand ils l’ont une fois ceinte… »
Il se souvenait encore de cette terrible
phrase qu’il avait lui-même écrite dans un mémoire destiné au roi !
Selon lui, la guerre étrangère aurait pris le
pas sur la guerre civile, car les catholiques et les protestants se seraient
mélangés dans une même armée. L’idée avait séduit Coligny qui cherchait des
arguments pour libérer la Flandre du joug espagnol. L’amiral avait présenté son
mémoire au conseil, et le roi l’avait approuvé.
Mais pas sa mère. Catherine de Médicis
détestait la guerre et était trop prudente pour se lancer dans une aventure
militaire contre l’Espagne. Elle avait vécu le sac de Rome et connaissait trop
bien la puissance et la cruauté des troupes espagnoles. Catherine était
certaine que si la France défiait Philippe II, celui-ci le ferait payer
cher au royaume. À la guerre, elle préférait la négociation, les combinaisons, les
promesses ou les mensonges. Elle avait conclu que le seul moyen d’éviter que la
France soit ravagée par l’armée espagnole était de tuer le chef protestant et
ses proches.
Elle avait rallié à son idée son fils aîné – le
roi actuel – et Henri de Guise. Persuadé que l’amiral de Coligny avait armé le
bras de Poltrot de Méré [3] , l’assassin de son père, le prince lorrain avait été facile à
convaincre.
Son cousin le duc d’Aumale avait fait venir à
Paris un nommé Maurevert, qui avait déjà tenté de tuer l’amiral. Caché près de
la maison de Coligny, le vendredi 22 août, quatre jours après le mariage de Navarre,
celui-ci avait tiré à bout portant avec un mousquet sur le chef huguenot.
Le jour des noces d’Henri
de Navarre, Philippe de Mornay aurait dû faire la fête comme tous ses amis. Pourtant,
il se souvenait n’être guère sorti tant il éprouvait un profond malaise, peut-être
dû à la chaleur, ou aux Parisiens haineux qui criaient à Notre-Dame : À
la messe, les huguenots ! en s’adressant aux protestants restés hors
de l’église.
Le conseil du roi ayant approuvé son idée d’envoyer
une armée en Flandre, il avait obtenu un congé pour ramener sa mère chez eux, près
de Senlis. Elle n’était venue que pour le mariage de Navarre et avait hâte de
quitter Paris. Le vendredi, il se trouvait chez un ami quand un serviteur était
venu lui dire que M. de Coligny venait d’être blessé par une arquebusade.
« On a tué l’amiral ! On a meurtri notre père ! » répétait
le messager en sanglotant.
Mornay s’était précipité rue de Béthisy où
logeait le chef protestant. Il avait découvert la rue envahie par un millier de
gentilshommes huguenots, pleurant, menaçant, agitant leurs épées pour venger
leur chef.
Avec François Caudebec, son écuyer et ami, Philippe
de Mornay logeait alors dans une auberge de la rue Saint-Jacques, le Compas
d’Or. Ils avaient aussitôt cherché une chambre dans les environs pour
participer à la défense de l’amiral. Mais toutes les auberges étaient pleines
et bien qu’il eût trouvé un logis rue de Béthisy, ils avaient dû retourner
dormir sur la rive gauche, car le logement ne pouvait être libre avant le lundi.
Ce
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