Les Rapines Du Duc De Guise
des
Lorrains, car le tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois était le signal du
massacre. On avait même marqué les portes des protestants d’une croix blanche
et sur certaines on avait écrit : Ici on tue !
— Mais
pourquoi… pourquoi ? avait murmuré Mornay. Pourquoi Dieu a-t-il permis ce
massacre ?
— Le roi assure qu’il y a eu complot, monsieur.
Que Coligny et ses amis voulaient l’assassiner. Il aurait juste pris les
devants…
— C’est faux ! avait crié Mornay.
— Peut-être, monsieur… Et sans doute les
gens du roi et de Guise n’avaient-ils pas prévu que la tuerie deviendrait une
telle boucherie. Ceux qui haïssent les protestants sont devenus des bêtes
sauvages. Dans ce quartier, des bandes de gueux et de clercs se sont attaquées
aux libraires. Beaucoup ont été précipités du haut de leur maison dans des feux
où flambaient leurs livres. Les femmes, souvent avec leurs enfants dont elles
ne voulaient pas se séparer, ont été traînées vers la Seine, lardées de coups, et
jetées dans le fleuve en si grand nombre que l’eau en était rouge. Maintenant, il
n’y a plus de loi dans Paris. On ne tue plus pour la religion mais pour les
pécunes et la picorée. Quiconque peut occire son ennemi en le déclarant
calviniste. Un frère peut se débarrasser de son parent pour recueillir l’héritage.
Par cupidité, par jalousie, ou par vengeance, tout est possible !
L’homme, un solide gaillard qui avait vu bien
des misères, avait les larmes aux yeux.
— Il n’y a donc personne pour nous
défendre ? Où sont le roi et ses Suisses ? Où est le duc d’Anjou qui
est lieutenant général du royaume ?
— Anjou, avec quelques centaines d’hommes,
a pris part à la curée, monsieur. C’est lui qui a ravagé le pont au Change et
pillé toutes les boutiques des joailliers et des orfèvres. Quant au roi, je
vous l’ai dit, il a ordonné lui-même qu’on tue tous les protestants !
Le lundi matin, la
furie meurtrière avait continué. Son hôte était alors venu le prier de partir
en lui disant qu’il ne pouvait plus le protéger, car les miliciens pillaient la
maison de son voisin libraire, qu’ils venaient de tuer. Ils allaient arriver
chez lui d’un instant à l’autre pour fouiller l’auberge.
— Croyez-vous que je pourrais sortir par
la porte Saint-Jacques ? avait demandé Philippe de Mornay.
C’était la plus proche de l’auberge.
— Non, monsieur. Toutes les portes sont
fermées par la garde bourgeoise. Si vous avez des amis dans Paris, essayez
plutôt de vous réfugier chez eux.
Il avait endossé son plus simple habit noir et
était sorti armé de son épée, avec une écharpe blanche à l’épaule, comme en
portaient les assassins. Dans la rue, il y avait des cadavres partout, mais on
l’avait ignoré, chacun étant occupé à piller. Il avait décidé d’aller rue
Saint-Martin, chez un huissier de ses amis qui s’occupait des affaires de sa
maison.
Il avait traversé la Seine, saisi d’horreur
par les maisons saccagées avec des corps pendus aux fenêtres, par les femmes
dénudées abandonnées sur les pavés, par les petits enfants écrasés à coups de
pierre. En chemin il avait vu des atrocités inimaginables. Un marchand
arrachait les oreilles d’une femme pour avoir les diamants de ses boucles. Dans
l’île, un libraire brûlait au milieu de ses livres. Rue des Arcis, un homme
avait jeté sa femme en pâture à une foule de crocheteurs pour s’en débarrasser.
Elle avait été violentée, puis exterminée à coups de bâtons. Partout ce n’étaient
que meurtres et tueries. Déjà des corbeaux se nourrissaient des cadavres, noircissant
parfois entièrement les corps qu’ils recouvraient.
Au milieu de ces horreurs, il n’était jamais
intervenu. Par lâcheté, sans doute, par impuissance surtout. Il avait croisé
une bande d’enfants de dix ans qui jouait à la balle avec une tête de
nourrisson, puis des hommes ivres qui détroussaient des cadavres. À son arrivée,
rue Saint-Martin, l’huissier l’avait fait passer pour un clerc en l’installant
dans son étude. Alors qu’il se croyait enfin en sécurité, un domestique l’avait
dénoncé au capitaine du guet.
Il était pourtant parvenu à s’enfuir par le
jardin avec l’aide d’un clerc qui lui avait assuré pouvoir le faire sortir par
la porte Saint-Martin où il était connu pour y être souvent de garde. Le
malheur avait voulu qu’elle soit fermée et ils avaient
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