Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
lui-même un sentiment précieux de contentement et
de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et
douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions
sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire
et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes,
agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et ne
l'ayant goûté qu'imparfaitement durant peu d'instants n'en
conservent qu'une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas
sentir le charme. Il ne serait pas même bon, dans la présente
constitution des choses, qu'avides de ces douces extases ils s'y
dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours
renaissants leur prescrivent le devoir. Mais un infortuné qu'on a
retranché de la société humaine et qui ne peut plus rien faire
ici-bas d'utile et de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver
dans cet état à toutes les félicités humaines des dédommagements
que la fortune et les hommes ne lui sauraient ôter. Il est vrai que
ces dédommagements ne peuvent être sentis par toutes les âmes ni
dans toutes les situations. Il faut que le coeur soit en paix et
qu'aucune passion n'en vienne troubler le calme. Il y faut des
dispositions de la part de celui qui les éprouve, il en faut dans
le concours des objets environnants. Il n'y faut ni un repos absolu
ni trop d'agitation, mais un mouvement uniforme et modéré qui n'ait
ni secousses ni intervalles. Sans mouvement la vie n'est qu'une
léthargie. Si le mouvement est inégal ou trop fort, il
réveille ; en nous rappelant aux objets environnants, il
détruit le charme de la rêverie, et nous arrache d'au-dedans de
nous pour nous remettre à l'instant sous le joug de la fortune et
des hommes et nous rendre au sentiment de nos malheurs. Un silence
absolu porte à la tristesse. Il offre une image de la mort. Alors
le secours d'une imagination riante est nécessaire et se présente
assez naturellement à ceux que le ciel en a gratifiés. Le mouvement
qui ne vient pas du dehors se fait alors au-dedans de nous. Le
repos est moindre, il est vrai, mais il est aussi plus agréable
avant de légères et douces idées sans agiter le fond de l'âme, ne
font pour ainsi dire qu'en effleurer la surface, Il n'en faut
qu'assez pour se souvenir de soi-même en oubliant tous ses maux.
Cette espèce de rêverie peut se goûter partout où l'on peut être
tranquille, et j'ai souvent pensé qu'à la Bastille, et même dans un
cachot où nul objet n'eût frappé ma vue, j'aurais encore pu rêver
agréablement. Mais il faut avouer que cela se faisait bien mieux et
plus agréablement dans une île fertile et solitaire, naturellement
circonscrite et séparée du reste du monde, où rien ne m'offrait que
des images riantes, où rien ne me rappelait des souvenirs
attristants où la société du petit nombre d'habitants était liante
et douce sans être intéressante au point de m'occuper incessamment,
où je pouvais enfin me livrer tout le jour sans obstacle et sans
soins aux occupations de mon goût ou à la plus molle oisiveté.
L'occasion sans doute était belle pour un rêveur qui, sachant se
nourrir d'agréables chimères au milieu des objets les plus
déplaisants, pouvait s'en rassasier à son aise en y faisant
concourir tout ce qui frappait réellement ses sens. En sortant
d'une longue et douce rêverie, en me voyant entouré de verdure, de
fleurs, d'oiseaux et laissant errer mes yeux au loin sur les
romanesques rivages qui bordaient une vaste étendue d'eau claire et
cristalline, j'assimilais à mes fictions tous ces aimables objets,
et me trouvant enfin ramené par degrés à moi-même et à ce qui
m'entourait, je ne pouvais marquer le point de séparation des
fictions aux réalités, tant tout concourait également à me rendre
chère la vie recueillie et solitaire que je menais dans ce beau
séjour. Que ne peut-elle renaître encore ! Que ne puis-je
aller finir mes jours dans cette île chérie sans en ressortir
jamais, ni jamais y revoir aucun habitant du continent qui me
rappelât le souvenir des calamités de toute espèce qu'ils se
plaisent à rassembler sur moi depuis tant d'années ! Ils
seraient bientôt oubliés pour jamais : sans doute ils ne
m'oublieraient pas de même, mais que m'importerait, pourvu qu'ils
n'eussent aucun accès pour y venir troubler mon repos ?
Délivré de toutes les passions terrestres qu'engendre le tumulte de
la vie sociale, mon âme s'élancerait fréquemment

Weitere Kostenlose Bücher