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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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accrochait les peaux.
Il passa devant un apprenti qui était dans la cuve et traîna des pieds en
direction du fumier. Plusieurs jeunes apprentis échangèrent des sourires :
il n’existait pas de tâche plus ingrate, et l’arrivée du Maure les avait
délivrés de la corvée du fumier. Près de la fosse dans laquelle on foulait le
cuir cordouan, Vicente se rendit compte de la situation et poussa un cri ;
les sourires disparurent, et ouvriers et apprentis se consacrèrent de nouveau à
leurs travaux respectifs, indifférents au Maure qui se trouvait à présent au
bord du trou. Le fumier qui recouvrait les peaux bouillonnait.
    Le premier jour, il avait failli s’évanouir à cause du
manque d’air. Il avait hoqueté en essayant de respirer, mais la puanteur
ardente, en pénétrant ses poumons, l’avait asphyxié. Alors il avait dû revenir
au bord du trou et, en quête d’air, poser son menton au ras du sol. Il avait
été à deux doigts de vomir, mais l’ouvrier qui le surveillait ce jour-là lui
avait crié de faire attention aux peaux, de sorte qu’il avait fermé la bouche
et refoulé sa nausée.
    Hernando regarda le fumier et se déchaussa. Puis il se
déshabilla et se laissa tomber dans le trou. Où était la Sierra Nevada ?
Son air pur et propre ? Sa fraîcheur ? Ses arbres et les ravins où
coulaient des milliers de ruisseaux qui descendaient des cimes enneigées ?
Il retint sa respiration. Il avait appris que c’était la seule façon de
supporter cette tâche. Il s’agissait de soulever les peaux pour les assécher et
faire en sorte qu’elles ne chauffent pas plus qu’il ne fallait. Il retourna le
fumier, où s’entassaient les peaux, dans le but de trouver la première d’entre
elles. Il la secoua et réussit à la sortir du trou avant de ne plus pouvoir
respirer. Alors il chercha l’air, une fois de plus au ras du sol. La première
peau était la plus simple à soulever ; à mesure qu’on descendait dans ce
trou immonde, le fumier s’entassait et il devenait de plus en plus difficile
d’extraire les autres peaux. Hernando resta plus de deux heures à les soulever,
retenant sa respiration, le corps et les cheveux recouverts d’immondices
infectes.
    Une fois qu’il eut terminé son travail, l’un des ouvriers
s’approcha et vérifia l’état des peaux. Il en retira deux, de grandes peaux de
bœuf qu’il considéra comme assez ramollies, puis lui fit signe de sécher les
autres et d’extraire avec une pelle tout le fumier du trou ; à la fin de
la journée, il devrait replacer les peaux dedans ; une couche de fumier et
une peau, une autre couche de fumier et une autre peau, jusqu’à les recouvrir
toutes afin, le jour suivant, de les soulever à nouveau.

 
26.
    En cette année
1570, la population de Cordoue atteignait environ les cinquante mille
habitants. Comme dans toute ville fortifiée, la construction d’habitations
extra-muros était interdite, car elles pouvaient empêcher le libre accès au
chemin de ronde ou gêner la ville qui s’ouvrait sur les remparts, au-delà
desquels s’étendait la campagne. Le fleuve Guadalquivir cessait d’être
navigable à sa hauteur et traçait des méandres capricieux et impressionnants. Au
nord de la ville se trouvait la Sierra Morena et au sud, après le fleuve, se
déployaient des champs cultivés, la riche « campagne de pain ». Au X e  siècle,
le processus d’indépendance de Cordoue vis-à-vis de l’Orient atteignit son
zénith, et Abderrahman III s’érigea en calife d’Occident, successeur et
vicaire de Mahomet, prince des croyants et défenseur de la loi d’Allah. Dès
lors, Cordoue devint la ville la plus importante d’Europe, héritière culturelle
des grandes capitales orientales, avec plus de mille mosquées, des milliers
d’habitations, de commerces, et près de trois cents bains publics. À Cordoue
rayonnèrent les sciences, les arts et les lettres. Trois siècles plus tard,
elle fut reconquise par la chrétienté et le roi saint, Ferdinand III, après
six mois de siège, mené depuis la Ajerquía à la medina, les deux parties qui
divisaient la ville.
    Les chrétiens ne travaillaient pas le dimanche. Lors de son
premier jour de repos, Hernando s’échappa, offusqué, de la misérable maison à
deux étages située dans une impasse qui donnait sur la calle de Mucho Trigo où,
dans six petites pièces, s’entassaient sept familles maures, dont la sienne.
    — Il y a des maisons où vivent

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