Les révoltés de Cordoue
avoisinait
son lit. Pourquoi les chrétiens étaient-ils si sensibles au passage des peaux
sous leurs fenêtres alors qu’ils laissaient couler ces eaux putrides ? se
plaignit-il en pensée, avançant avec attention sur une des grosses planches en
bois que le conseil municipal avait ordonné de placer en guise de pont entre
les maisons qui entouraient la rivière. Le lit de cet infect cours d’eau était
si profond, plus bas même que les fondations des bâtiments, que les Cordouans
l’avaient baptisé « le Précipice ».
L’intérieur de l’église San Nicolás, enclavée à l’endroit où
la calle de las Badanas rejoignait la rivière, avait surpris Hernando, qui
s’était retrouvé là avec Fatima et les autres Maures pour assister au service
religieux. Parfois, en revenant des abattoirs, il avait observé sa façade
basse, qui ne dépassait guère cinq aunes de hauteur, et la distinguait des
autres églises construites par le roi Ferdinand, beaucoup plus vastes et
élevées. Comme celles-ci, elle avait été érigée sur une mosquée, pourtant San
Nicolás conservait encore les rangées de colonnes achevées par des arcs,
caractéristiques aux lieux de culte musulmans, dans le style de la cathédrale.
Mais cette fugace sensation avait disparu dès que le sacristain s’était mis à
faire l’appel des Maures : près de deux cents se trouvaient recensés dans
la paroisse : seulement, à la différence de Juviles, ils étaient ici une
minorité parmi les deux mille et quelques vieux-chrétiens qui s’amassaient dans
le temple : la plupart artisans, commerçants et salariés – les nobles
habitaient d’autres paroisses –, en plus d’un nombre considérable
d’esclaves, propriété des artisans.
Hommes et femmes entendaient la messe séparément. Il n’y
avait ni sorties intempestives ni menaces du prêtre comme à Juviles : la
messe, ici, était pour les chrétiens. La cérémonie leur coûtait un maravédis
par tête.
À la sortie, un dimanche, alors qu’ils attendaient les
femmes, un homme bien habillé s’avança vers eux. Sans réfléchir, Hernando
examina la dentelle du col de sa chemise dans l’attente de voir apparaître un
pou ou sauter une puce.
— Vous êtes les nouveaux Maures de la calle de Mucho
Trigo, n’est-ce pas ? demanda-t-il à Hernando et à Brahim, avec
condescendance, sans leur tendre la main.
Tous deux acquiescèrent et le nouveau venu se tourna vers
Hamid, qu’il contempla avec mépris, s’arrêtant sur son visage marqué.
— Que fais-tu avec eux, toi ?
— Nous sommes du même village, Excellence, répondit
Hamid avec humilité.
L’homme parut prendre note, mentalement, de cette
information.
— Je m’appelle Pedro Valdés, magistrat de Cordoue,
dit-il ensuite. J’ignore si vos voisins vous auront parlé de moi, mais sachez
que j’ai pour mission de vous rendre visite tous les quinze jours afin de
vérifier comment vous êtes et si vous vivez conformément aux préceptes
chrétiens. Je suis certain que vous ne me poserez pas de problèmes.
À ce moment-là, Aisha et Fatima les rejoignirent, demeurant
toutefois en retrait du groupe.
— Vos épouses ? questionna-t-il.
Considérant que oui, et sans attendre de réponse, il observa
Fatima, qui paraissait avoir rapetissé au côté d’Aisha.
— Celle-ci est émaciée et toute maigre, remarqua-t-il
comme s’il parlait d’un animal. Elle est malade ? Si c’est le cas, je
devrai ordonner son admission dans un hôpital.
Hernando et Brahim hésitèrent et cherchèrent le soutien
d’Hamid.
— Il faut qu’un esclave réponde pour vous ? leur
reprocha le magistrat. Est-elle malade ou non ?
— Non… Excellence, bredouilla Hernando. Le voyage… le
voyage ne lui a pas réussi, mais elle récupère.
— Cela vaut mieux. Les hôpitaux de la ville ont peu de
lits disponibles. Emmène-la se promener dans la ville. Le soleil et l’air lui
feront du bien. Profitez de la fête du jour du Seigneur et remerciez-le. Le
dimanche est un jour de joie : le jour où Notre-Seigneur a ressuscité
d’entre les morts avant de monter au ciel. Emmène-la se promener, répéta-t-il
en faisant mine de les laisser. Tu es l’esclave de la maison de tolérance,
non ? demanda-t-il cependant à Hamid avant de s’en aller.
L’uléma hocha la tête et le magistrat prit note, à nouveau,
mentalement. Puis il se dirigea vers un groupe de riches marchands et leurs
femmes qui l’attendaient un peu
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