Les révoltés de Cordoue
dans l’atelier de Vicente Segura par la porte de derrière, qui
donnait sur le fleuve, et déposa les peaux dans un coin du grand patio
intérieur, comme il l’avait fait depuis trois jours. Un employé, un chrétien
chauve et fort, s’approcha pour vérifier l’état des peaux, sans même saluer
Hernando qui, une fois de plus, se retrouva plongé au cœur de l’agitation qui
se déployait à l’intérieur du patio, entre le fleuve et la calle Badanas :
des ouvriers, des apprentis et deux esclaves, dont l’unique tâche consistait à
transporter de l’eau propre du fleuve, travaillaient sans relâche. Certains
amollissaient les peaux : c’était la première opération effectuée dès
qu’un nouvel échantillon arrivait dans la tannerie ; elle consistait à
plonger la peau dans des cuves remplies d’eau fraîche pour la ramollir, autant
de jours que nécessaire, selon la peau et l’état dans lequel elle se trouvait.
Certaines d’entre elles, déjà ramollies ou non loin de l’être, étaient étendues
sur des planches en bois, le côté du derme à l’air, afin que les ouvriers les
râpent avec des couteaux affûtés et les nettoient de leur chair, du sang et des
immondices qui pouvaient encore y être accrochés.
Une fois les peaux ramollies, elles étaient introduites dans
des pelains pour y être plainées, opération qui consistait à les plonger dans
de l’eau contenant de la chaux, le derme tourné vers le haut. Le badigeonnage à
la chaux dépendait de la qualité de la peau et de l’objet auquel elle était
destinée. Hernando avait observé que certains apprentis sortaient les peaux des
pelains afin de les sécher, et les suspendaient à des bâtons plus ou moins
longtemps, selon la saison, avant de les replonger dans l’eau et de répéter
l’opération quelques jours plus tard. Ce planage des cuirs pouvait durer entre
deux et trois mois, s’il avait lieu l’été ou l’hiver. L’amollissement et le
bain de chaux étaient communs à toutes les peaux ; ensuite, quand le
maître considérait que la peau était assez plainée, les procédés variaient
selon l’objectif final : semelles, chaussures, courroies, cuirs cordouans
ou maroquins. Le tannage des peaux s’effectuait dans des fosses, gros trous
creusés dans la terre recouverts de pierre ou de brique, où les peaux étaient
immergées dans de l’eau avec de l’écorce de chêne-liège, qui abondait à
Cordoue ; dans les fosses, le maître contrôlait avec précision le tannage
des cuirs. Hernando regarda le maître et l’ouvrier qu’il commandait, plongé
dans une des fosses et nu jusqu’à la taille, foulant des peaux de chevreau
destinées à des cuirs noirs, sans cesser un instant de les retourner et de les
tremper dans l’eau et le sumac. Cette opération se déroulait pendant huit
heures, au cours desquelles à aucun moment les ouvriers ne cesseraient de
fouler, de retourner et de tremper les peaux de chevreau.
— Que regardes-tu ? Tu n’es pas ici pour
flâner !
Hernando sursauta. L’ouvrier chauve, à qui il avait remis
les peaux, lui tendait l’une d’elles, qui paraissait en mauvais état.
— Celle-là, c’est pour ton trou, lui indiqua-t-il.
Allez, au fumier, comme les autres jours.
Hernando jeta un regard affligé vers l’extrémité opposée du
patio où, dans un coin un peu à l’écart, caché, s’ouvrait au sol un trou
profond ; dans le froid de ce jour de novembre s’élevait de cette fosse
une colonne d’air chaud et pestilentiel résultant de la putréfaction du fumier.
Lorsque Hernando s’introduirait à l’intérieur, comme il avait dû le faire les
deux jours précédents, cette colonne de fumée prendrait vie, se collerait à ses
mouvements et l’envelopperait de chaleur, de puanteur et de miasmes. Le maître
avait décidé que les peaux qui présentaient des défauts, comme celle que venait
de lui remettre l’ouvrier, ne seraient pas ramollies avec de la chaux mais avec
du fumier ; le procédé était beaucoup plus rapide, nul besoin d’attendre
deux mois, et surtout bien moins coûteux. Les cuirs qui en ressortaient, de
moindre qualité puisque le fumier n’obtenait pas les mêmes résultats que la
chaux, étaient destinés aux semelles de chaussures.
Hernando traversa le patio, entre les cuves, les fosses, les
longues tables en bois où l’on travaillait les peaux avec des couteaux aiguisés
ou émoussés, selon les besoins, et les bâtons sur lesquels on
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