Les révoltés de Cordoue
toute ma vie comme uléma…
— Libre ? Est-ce que cela veut dire que tu
continueras à être uléma ? l’interrompit Hernando.
Hamid l’obligea à se taire après avoir regardé du coin de
l’œil si quelqu’un les écoutait.
— Nous reparlerons de cela plus tard, chuchota-t-il.
Nous aurons le temps, je le crains.
— Tu t’y connais en herbes, en remèdes, reprit
cependant le garçon. Tu pourrais t’y consacrer.
— Je ne suis ni médecin ni chirurgien. Tout ce que je
ferais avec des herbes serait considéré comme de la sorcellerie. De la
sorcellerie…, répéta-t-il pour lui-même.
Précisément, il avait dû persuader la jeune Ana María que son
savoir n’en était pas. Malgré tout, la jeune fille n’avait pas paru vraiment
convaincue. Peu après son arrivée dans la maison close, alors qu’il lui
apportait des draps propres, Hamid l’avait trouvée un jour en train de pleurer,
inconsolable, dans son petit local. Au début, Ana María s’était butée et
n’avait pas répondu à ses questions. Hamid était propriété de l’alguazil, et
qui lui certifiait qu’il n’irait pas raconter… ? Hamid avait lu cette
méfiance dans ses yeux et insisté, jusqu’au moment où, peu à peu, ouvrant son
cœur à l’uléma, elle lui avait tout dit. Le chancre ! Une petite plaie
était apparue sur sa vulve, indolore, quasi imperceptible, mais premier signe
sans équivoque d’une future syphilis. Le médecin chargé, toutes les deux
semaines, par le conseil municipal de contrôler la santé et l’hygiène des
prostituées venait de passer et ne s’était rendu compte de rien, mais la
prochaine fois cela ne lui échapperait pas. La jeune fille s’était remise à
pleurer.
— Il m’enverra à l’hôpital de la Lampe, avait-elle
sangloté, et là… je mourrai au milieu des syphilitiques.
Hamid avait entendu parler de l’hôpital de la Lampe, qui se
trouvait non loin. Tous les Cordouans avaient peur d’être admis dans un des
nombreux hôpitaux de la ville. « La pauvreté extrême est ce qui oblige un
pauvre à aller à l’hôpital », disait-on, mais celui de la Lampe, asile de
femmes affligées de maladies vénériennes incurables, était évoqué avec effroi
parmi les prostituées. Surveillé de près par les autorités, dans un souci sanitaire,
il menait à coup sûr à une agonie lente et douloureuse.
— Je pourrais…, avait commencé Hamid. Je connais…
Ana María s’était tournée vers lui et l’avait supplié de ses
yeux verts.
— Il existe un vieux remède musulman, peut-être que…
Il n’avait jamais soigné quiconque du chancre dans les
Alpujarras ! Et si ça ne marchait pas ? Mais la jeune fille était à
genoux devant lui, accrochée à ses jambes.
« Que Dieu autorise sa guérison ! » pria
Hamid en silence quand, ce soir-là, il lava avec du miel la vulve d’Ana María
et saupoudra ensuite la plaie des cendres qu’il obtint d’une tige de roseau
remplie d’une pâte composée de farine d’orge, de miel et de sel.
« Permets-le, mon Dieu ! » pria-t-il soir après soir en répétant
le traitement. Lors de la visite suivante du médecin du conseil municipal, la
plaie avait disparu. Cette minuscule fistule avait-elle vraiment annoncé la
syphilis ? s’interrogea Hamid alors qu’Ana María, reconnaissante, pleurait
de joie dans ses bras. C’était la médecine du Prophète, conclut-il cependant :
une médecine capable de soigner le chancre et la syphilis. Ne s’était-il pas
recommandé à Dieu chaque fois qu’il l’avait soignée ?
— Ne le raconte à personne, je t’en supplie, demanda
Hamid à la prostituée, se dégageant de son étreinte. Si on savait… Si
l’alguazil ou l’Inquisition apprenait ce qui s’est passé ici, je serais accusé
de sorcellerie… et toi d’ensorcellement…, ajouta-t-il avec plus d’assurance.
Que fais-tu, jeune fille ? interrogea-t-il, surpris, en voyant Ana María
retirer ses vêtements.
— Mon corps est tout ce que je possède, répondit-elle,
en ouvrant sa chemise qui laissa apparaître sa jeune poitrine.
Hamid n’avait pu s’empêcher de regarder ces seins blancs et
lisses, la grande aréole brune qui entourait ses tétons. Depuis combien d’années
n’avait-il pas joui d’une femme ?
— Ton amitié me suffit, s’excusa-t-il, effrayé.
Rhabille-toi, s’il te plaît.
À partir de ce jour, Hamid fut l’objet d’un respect
révérencieux de la part de toutes les femmes
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