Les révoltés de Cordoue
l’autel,
invitant Hernando et Fatima à l’imiter, est construite dans l’entrée du mihrab
d’al-Hakam II.
Tous trois demeurèrent agenouillés derrière les magnifiques
arcs polylobés, différents de ceux, en fer à cheval, du reste de la mezquita,
lesquels donnaient accès à l’entrée, à l’intérieur de ce qui avait été la maqsura, la zone réservée au calife et à sa cour.
— Là derrière, reprit Abbas en faisant un geste du
menton, où il y a actuellement la sacristie de la chapelle, se trouve le
mihrab, dans lequel le roi a interdit de célébrer le moindre enterrement
chrétien.
Les restes du protégé du roi, don Alonso, à l’inverse de la
plupart des sépultures au sol, apparaissaient dans un grand cercueil, simple,
en pierre blanche.
— Ici, oui, siffla le maréchal-ferrant à Fatima. Ici,
c’est l’endroit.
— Allah est grand, prononça-t-elle, cachant sa tête et
se relevant.
Chacun d’eux, à sa manière, s’efforça d’imaginer l’aspect du
célèbre mihrab d’al-Hakam II, devant lequel ils restaient à genoux et qui
avait été profané, converti en une simple et vulgaire sacristie de la chapelle
de Saint-Pierre. C’était là qu’on lisait le Coran. L’exemplaire du Livre
conservé dans la chambre du trésor était amené tous les vendredis dans le
mihrab et déposé sur un lutrin en aloès vert avec des clous d’or. Il avait été
écrit de la main du prince des Croyants, Uzman ibn Affan ; il était décoré
d’or, de perles et de jacinthes, et pesait si lourd qu’il fallait deux hommes
pour le porter. Dans l’entrée comme dans le mihrab, le calife, en harmonie avec
la magnificence de la culture cordouane, avait ordonné l’union de plusieurs
styles architectoniques afin d’obtenir un ensemble d’une beauté inégalée. On
accédait à la niche où le Coran était gardé en passant sous une coupole
octogonale ouvragée de style arménien, dont les arcs ne se rejoignaient pas en
son centre mais se croisaient tout au long de ses murs. Byzance aussi était
présente, avec ses marbres veinés ou blancs, et surtout ses mosaïques colorées,
construites avec des matériaux apportés par des artisans venus expressément de
la capitale de l’empire d’Orient. Inscriptions coraniques en or et marbres
byzantins, arabesques, éléments gréco-romains et également chrétiens, dont les
maîtres avaient contribué à l’érection, avaient fait de ce lieu où se trouvait
la chapelle de Saint-Pierre l’un des plus beaux du monde.
Tous trois prièrent quelques instants en silence puis,
nostalgiques, sortirent de la mezquita par la porte de Saint-Michel. Ils se
retrouvèrent calle de los Arcos, où se dressait le Palais épiscopal bâti sur
l’ancien alcázar des califes de Cordoue. Ils s’engagèrent ensuite sous l’un des
trois arcs au-dessus desquels reposait le pont qui traversait la rue par le
haut, reliant l’ancien palais à la cathédrale, et continuèrent en direction des
écuries. Ils passèrent devant l’alcázar des Rois Catholiques. À ce moment-là,
Hernando décida d’être franc.
— Je ne peux pas traduire ces documents, se
plaignit-il. Ils sont écrits en arabe savant. Comment pourrais-je enseigner
l’arabe savant à ce prêtre ?
Abbas fit quelques pas supplémentaires sans lui répondre. Il
ressentait une certaine méfiance. Il n’avait pas aimé l’attitude de Fatima,
trop intrépide et inconsciente. Pourtant, se disait-il, la communauté comptait
sur elle. Par ailleurs, admettait-il, lui-même ne venait-il pas de lui montrer
l’endroit où se cachait le mihrab, l’encourageant à prier ? N’avaient-ils
pas, tous, les mêmes sentiments ?
— C’est le contraire, avoua le maréchal-ferrant alors
qu’ils n’étaient plus très loin de la porte des écuries. C’est don Julián qui
va t’apprendre l’arabe savant de notre livre divin.
Hernando stoppa net. La surprise se dessinait sur son
visage.
— Oui, confirma Abbas. Ce prêtre, don Julián, est l’un
de nos frères, et le plus savant musulman de Cordoue.
36.
Le jour où Aisha fut remise en liberté après son arrestation
dans la Sierra Morena, Brahim avait abandonné la bande des monfíes du Sobahet
au côté de deux esclaves fugitifs. Le souvenir du crachat que lui avait lancé
son épouse avant de quitter le camp accentuait la douleur intense qu’il
ressentait dans son bras. Peu après qu’Aisha eut disparu entre les arbres, les
monfíes s’étaient mis
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