Les révoltés de Cordoue
n’était pas encore achevée, raison pour laquelle les échafaudages
supportaient un plafond provisoire. Ils se dirigèrent au sud-est, où se
trouvait, dans une ancienne chapelle, la magnifique bibliothèque de la
cathédrale, avec des centaines de documents et de livres, manuscrits vieux de
plus de huit cents ans pour certains. Une superbe grille en fer forgé fermait
en principe l’enceinte, mais la porte était ouverte.
— Ton épouse, dit Abbas à Hernando lorsqu’ils
atteignirent la grille, est-elle capable de nous attendre ici sans provoquer de
scandale ?
Fatima voulut défier le maréchal-ferrant, mais Hernando
l’arrêta d’un simple geste.
— Oui, répondit-il.
— Est-elle capable de comprendre que de notre
discrétion dépend la vie de nombreux hommes et femmes ?
— Elle le comprend, confirma encore Hernando, tandis
que Fatima acquiesçait, honteuse.
— Alors, allons-y !
Les deux hommes franchirent la grille qui donnait accès à la
bibliothèque et s’arrêtèrent. À l’intérieur, sur des rayonnages, apparaissaient
des centaines de volumes reliés et des rouleaux de parchemin. Il y avait aussi
des tables de lecture. Entre deux d’entre elles se tenait un groupe de cinq
prêtres. Dès que le maréchal-ferrant se rendit compte qu’une réunion avait lieu
à l’intérieur de la bibliothèque, il tenta de faire demi-tour, mais l’un des
religieux, s’apercevant de leur présence, les appela. Grand comme il était,
Abbas croisa les doigts en signe de prière, les porta à sa poitrine et pencha
la tête. Hernando l’imita et tous deux se dirigèrent vers le groupe.
— Que voulez-vous ? demanda, courroucé, le prêtre
qui les avait appelés, avant même qu’ils rejoignent le groupe.
— Je le connais, don Salvador, intervint alors un autre
ecclésiastique, le plus âgé de tous, gros et chauve, de petite taille, avec une
voix beaucoup trop douce pour son apparence. C’est un bon chrétien et il
collabore avec l’Inquisition.
— Bonjour, don Julián, salua Abbas.
Hernando bafouilla un salut.
— Bonjour, Jerónimo, répondit alors le prêtre.
Qu’est-ce qui t’amène ici ?
Un religieux s’avança vers une étagère pour prendre un
livre ; les autres, à l’exception de don Salvador, qui les scrutait,
assistaient à la scène avec une certaine indifférence, jusqu’au moment où Abbas
prit la parole :
— Il y a longtemps…
Il se racla plusieurs fois la gorge.
— Il y a longtemps, quand les Maures de Grenade sont
arrivés, vous m’avez demandé, si je trouvais parmi eux un bon chrétien sachant
en plus bien écrire en arabe, de vous l’amener. Il s’appelle Hernando, ajouta
le maréchal-ferrant en prenant son compagnon par le bras, l’obligeant à faire
un pas en avant.
Écrire en arabe ! Hernando sentit sur lui jusqu’aux
yeux du Christ crucifié qui présidait la bibliothèque. Abbas était-il devenu
fou ? Hamid lui avait enseigné les rudiments de la lecture et l’écriture
dans le langage universel qui unissait tous les croyants, mais de là à le
présenter dans la bibliothèque de la cathédrale comme un bon connaisseur…
Quelque chose le poussa à se retourner vers l’entrée, où il aperçut alors
Fatima qui écoutait à travers la grille. La jeune fille l’encouragea d’une
imperceptible moue.
— Bien, bien…, commença à dire don Julián.
— N’est-il pas un peu jeune pour savoir écrire en
arabe ? l’interrompit don Salvador.
Hernando perçut chez Abbas un mouvement d’inquiétude.
N’avait-il pas pensé à ce qui pourrait leur arriver ? Ne l’avait-il pas
prévu ? Il nota l’animosité qui suintait des paroles de don Salvador.
— Vous avez raison, mon père, répondit-il avec humilité
en se tournant vers le religieux. Je crois que mon ami valorise à l’excès mes
maigres connaissances.
Don Salvador dressa la tête devant les yeux bleus du Maure.
Il hésita quelques instants.
— Même si elles sont maigres, où les as-tu
acquises ? l’interrogea-t-il ensuite, sur un ton de voix peut-être
légèrement différent de celui qu’il avait employé jusqu’alors.
— Dans les Alpujarras. Le curé de Juviles, don Martín,
que Dieu le garde dans sa gloire, m’a appris tout ce qu’il savait.
En aucune façon il n’évoquerait Hamid. Quant au pauvre don
Martín… L’image de sa mère le lacérant de coups de couteau ressurgit à sa
mémoire. Comment les membres du conseil de la cathédrale de
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