Les révoltés de Cordoue
avec son crachat.
Il laissa le maire avec ses rosses et ses cocons, et grimpa
à flanc de montagne. Toutes les petites terrasses gagnées sur la roche pendant
des années – aussi bien celle qu’il avait lui-même travaillée, que celle
d’Hamid et de nombreux autres, ces Maures besogneux qui fécondaient les pierres
à coups de houe –, étaient en friche et envahies par la mauvaise herbe.
Les murets en pierres qui supportaient les terrasses et escaladaient les
versants de la Sierra apparaissaient éboulés à maints endroits, et la terre
tombait d’un peu partout sans la moindre entrave ; les canaux qui
irriguaient les champs et les vergers, cassés et abandonnés, laissaient
s’échapper l’eau, source de toute vie.
Des paresseux, des indolents et des fainéants ! Voilà
ce qu’étaient les nouveaux habitants de ces terres qui, jadis, avaient
appartenu aux siens. Inaptes à la culture et incompétents avec le bétail,
conclut Hernando. Chacun des nouveaux habitants possédait trois fois plus de
terres que les Maures et, pourtant, mouraient de faim. Les paysans tentèrent de
se justifier :
— Toutes ces terres sont propriété du roi, lui expliqua
un gros Galicien, entouré de villageois, lors d’une halte qu’effectua Hernando
dans une auberge. Et cependant elles dépendent directement du corregidor de
Grenade, comme celles de haute montagne, où le bétail se nourrit d’un peu
d’herbe, de touffes et de plantes pendant l’été. Comme il s’agit de pâturages
communaux, beaucoup de propriétaires de la ville, amis du corregidor, envoient
leurs troupeaux paître dans les Alpujarras et laissent, avec indolence, les
animaux détruire les récoltes et les mûriers. De plus, lorsqu’il faut les
récupérer ou les faire changer de pâturage, ils emploient des hommes armés qui
choisissent les meilleurs, même si ce ne sont pas les leurs.
— Ils nous volent, Excellence ! cria, suffoquant,
un autre homme. Le maire d’Ugíjar ne fait rien pour nous défendre.
Mais Hernando ne les écoutait pas. Il se souvenait avec
nostalgie comment, enfant, il devait recomposer les troupeaux, une fois
dispersés, pour échapper à la dîme.
— Ferez-vous quelque chose, Excellence ? insista
le Galicien en s’accrochant au bras de Hernando.
Cependant son geste fut brutalement interrompu par un vieil
homme qui se trouvait à ses côtés.
— Je suis seulement venu acheter des chevaux, répondit
Hernando assez brusquement.
Que savaient ces chrétiens des vols et des violations de
droits ? Que savaient-ils de l’impunité dont les Maures étaient
victimes ? pensa-t-il face à ceux qui l’interrogeaient. Ils ne payaient
même pas d’impôts sur les ventes, ils en étaient exemptés. Travaillez !
faillit-il leur crier.
Il avait désormais compris pourquoi les rentes royales
étaient si maigres, et il était certain qu’il ne dénicherait aucune jument
méritant d’être acquise pour les écuries de don Alfonso. Pourtant, Hernando
décida de prolonger son séjour dans les Alpujarras. L’irritation de don Sancho
et des domestiques, contraints de vivre dans une petite maison sans confort, au
fond d’un village perdu, justifiait ce choix à elle seule. Le frustre maire et
le curé d’Ugíjar, ainsi que certains des six chanoines, constituaient les
seules personnes avec qui l’hidalgo pouvait se permettre un brin de
conversation. À cheval, Hernando quittait le village à l’aube, après la messe.
Il aimait contourner l’ancienne maison de Salah le marchand, à présent habitée
par une famille chrétienne, et parcourir tous ces endroits qu’il avait connus
pendant le soulèvement. Il étudiait la situation commerciale et parlait avec
les gens afin de connaître les vraies raisons pour lesquelles l’activité de
cette région, où tant de Maures avaient vécu et réussi à faire vivre leurs
familles, s’était réduite. Parfois il trouvait refuge la nuit dans une maison
et dormait loin d’Ugíjar. Il monta aussi jusqu’au château de Lanjarón, mais
n’osa pas déterrer l’épée de Mahomet. Qu’en aurait-il fait ? Au lieu de
cela, seul et à genoux, il pria.
Mais le vieux don Sancho, tout fourbu, s’ennuyait tellement
qu’un jour il insista pour accompagner Hernando lors d’une sortie.
— Êtes-vous sûr ? lui demanda le Maure. Songez que
les endroits où je vais sont extrêmement sauvages.
— Tu doutes de mes compétences à cheval ?
Ils partirent un matin au lever du
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