Les révoltés de Cordoue
nombreux jets d’eau qui jaillissaient en l’air
avant de retomber dans le bassin.
Hernando s’appuya contre l’un des battants de la porte.
Isabel était assise sur un banc, une broderie sur les genoux. En souriant elle
regardait courir ses enfants, qui tentaient d’échapper à la surveillance de
leur gouvernante. Un rayon de soleil, passant à travers la treille, éclairait
son visage dans l’ombre du tunnel touffu. Hernando la contempla. Elle portait
son habituelle robe noire ; ses cheveux clairs, qui avaient attiré son
attention des années plus tôt et l’avaient sauvée de l’esclavage, faisaient
ressortir des traits doux et beaux, des lèvres charnues, un long cou sous sa
chevelure attachée, et des seins généreux luttant contre le vêtement qui les
opprimait ; une taille fine et de belles hanches : le corps
voluptueux d’une jeune mère de trois enfants. Le soleil se refléta sur la main
qu’Isabel tendit pour faire signe à Gonzalico de ne pas s’approcher si près du
bassin. Hernando suivit le mouvement de cette main blanche et délicate, et ne
put s’en détacher. Puis il observa l’enfant, mais celui-ci, sans écouter sa
mère, courait à nouveau devant sa gouvernante. Hernando sentit un inquiétant
picotement dans son dos au moment où Isabel se tourna et où ses yeux noisette
se fixèrent dans les siens. Il perçut que la poitrine d’Isabel s’agitait sous
le corset qui l’emprisonnait, et sa respiration s’accéléra. Que se
passait-il ? Troublé, il soutint quelques instants son regard, certain
qu’elle détournerait son attention vers ses enfants ou son ouvrage. Mais elle
n’en fit rien. Alors, sentant le picotement descendre jusqu’à son entrejambe,
il quitta brusquement le lieu, à la recherche d’un domestique à qui il ordonna
d’harnacher Volador.
Une semaine plus tard, don Ponce et son épouse organisèrent
une fête en l’honneur de leur invité. Pendant ces sept jours, travaillant le
matin, Hernando, dos à la porte-fenêtre, s’était efforcé de se concentrer sur
son rapport au duc, sans tenir compte des rires qui semblaient l’appeler du
jardin.
Établir une foire annuelle pour que les habitants des
Alpujarras puissent vendre leurs marchandises… Aménager un col… Planter des
mûriers et des vignes… Autoriser les paysans à vendre les terres adjugées…
Organiser la justice dans la région… Réprimant l’instinct qui le poussait à se
retourner vers le jardin pour voir Isabel, Hernando développa chacune des idées
qui lui venaient pour promouvoir le commerce dans la région et augmenter ainsi
les rentes royales. Mais, à la vérité, se sentant fatigué, il travaillait avec
lenteur. Il ne dormait pas bien. La nuit, chaque bruit provenant de la chambre
de doña Isabel résonnait dans la sienne. Malgré lui, il se retrouvait à tendre
l’oreille, retenant sa respiration pour écouter les murmures de l’autre côté du
mur ; il crut même entendre le frôlement des draps et le craquement du
bois du lit, sûrement encastré, quand Isabel changeait de position. Car c’était
forcément elle ; à aucun moment de ses nuits tortueuses il n’imagina que
ce pût être le juge. Parfois il pensait à Fatima et son ventre se nouait, comme
la première fois après sa mort où il était allé au bordel. Mais au bout de
quelques instants il se remettait à guetter le moindre bruit venant de la
chambre contiguë. Toutefois, la journée, à la lumière du soleil, il faisait tout
pour éviter Isabel, à la fois honteux et mal à l’aise.
Le matin même de la fête il réussit à mettre un point final
à son rapport dans lequel, sur une lettre à part, il informait le duc de son
séjour dans la maison de don Ponce de Hervás et de son épouse Isabel. Comme il
ne disposait pas de sceau, il demanda au juge de le cacheter avec le sien et,
profitant d’une expédition qui, d’après don Ponce, allait partir en direction
de Madrid, il dépêcha un domestique avec son courrier.
La fête était prévue dans la soirée. Hernando et don Sancho
se virent offrir de nouveaux habits par le juge, en accord avec le faste que
celui-ci voulait donner à l’événement. Debout à l’entrée de la villa, comme le
leur avait demandé don Ponce, l’hidalgo et Hernando attendaient les invités
afin de leur être présentés. Don Sancho ne pouvait cacher sa nervosité.
— Tu aurais dû apprendre à danser, dit-il à Hernando,
en s’examinant avec
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