Les révoltés de Cordoue
propriétaire : le Maure Hernando Ruiz,
de Juviles. Insiste bien sur le fait que je suis maure, grenadin, expulsé des
Alpujarras, de ceux qui ont participé, armes à la main, à la révolte, et que je
suis son nouveau propriétaire. Répète-le-lui plusieurs fois s’il le faut.
Il ne fallut pas plus d’une semaine aux locataires, opulente
famille de négociants en soie, pour mettre la maison à la disposition
d’Hernando. Le temps d’avoir confirmation auprès du secrétaire de la duchesse
que ce dernier était bien leur nouveau propriétaire. Quel vieux-chrétien bien
né aurait accepté de payer un loyer à un Maure ?
Le patio ouvert à la lumière du soleil, le parfum des fleurs
qui l’inondaient et l’eau coulant en permanence d’une fontaine parurent faire
revivre Aisha. Miguel veillait sur elle, lui racontait des histoires tout en
sautant d’un côté à l’autre pour couper des fleurs qu’il déposait sur son
ventre. Quelques jours après avoir pris possession de la maison, Hernando
observa que sa mère bougeait légèrement la main.
Les mots qu’avait prononcés Fatima le jour où il avait
trouvé ses enfants et l’uléma dans le patio en train de faire la classe
ressurgirent avec puissance à sa mémoire : « Hamid a dit que l’eau
est l’origine de la vie. » L’origine de la vie ! Était-il possible
que sa mère se rétablisse ?
Il s’avança, plein d’espoir, vers l’endroit où se trouvait
l’étrange couple. Miguel racontait presque en criant l’histoire d’une maison
enchantée.
— Les murs vibraient comme des roseaux au vent…,
disait-il au moment où le Maure arriva auprès d’eux.
Hernando lui sourit, puis il posa le regard sur sa mère,
ramassée dans un fauteuil près de la fontaine.
— Vous allez la perdre, seigneur, entendit-il murmurer
le petit éclopé à ses côtés.
Hernando se tourna brusquement vers lui.
— Comment… ? Mais elle va mieux !
— Elle s’en va, seigneur. Je le sais.
Ils se mesurèrent du regard. Miguel soutint le sien quelques
instants puis il plissa les yeux, confirmant sa prémonition. Il secoua
légèrement la tête, comme s’il partageait la douleur d’Hernando, et reprit son
histoire.
— Les murs de la chambre où dormait la jeune fille
disparurent par magie, señora. Vous imaginez ? Un énorme trou…
Hernando n’écoutait plus la narration. Il s’accroupit devant
sa mère et lui caressa un genou. Miguel était-il capable de prédire la
mort ? Aisha sembla réagir au contact de son fils et bougea de nouveau la
main.
— Mère, chuchota Hernando.
Miguel s’approcha.
— Laisse-nous, veux-tu ? demanda Hernando.
L’enfant se retira dans les écuries et Hernando prit la main
décharnée d’Aisha entre les siennes.
— M’entends-tu, mère ? Peux-tu m’entendre ?
sanglota-t-il en serrant cette main fragile. Je suis désolé. C’est ma faute. Si
je t’avais raconté… Tout cela ne serait pas arrivé. Je n’ai jamais cessé de
lutter pour notre foi.
Il lui raconta alors ce qu’il avait fait et le travail dont
l’avait chargé don Pedro, ainsi que tout ce qu’ils espéraient obtenir.
Quand il eut terminé, Aisha ne fit aucun mouvement. Hernando
enfouit son visage dans son giron et éclata en larmes.
Quatre jours plus tard, le présage du garçonnet
s’accomplit ; pendant ces quatre longues journées, en tête à tête avec sa
mère, Hernando ne cessa de lui raconter sa vie, tandis qu’Aisha se consumait.
Un matin, elle cessa de respirer.
Il refusa de payer un enterrement, des funérailles. Miguel
fit une grimace de stupéfaction lorsqu’il entendit Hernando l’annoncer au curé
de Santa María, qu’il avait volontairement averti trop tard pour
l’extrême-onction. Ce dernier biffa Aisha du recensement des Maures de la
paroisse.
— C’était ma mère, mais elle se trouvait sous l’emprise
du démon, mon père, déclara-t-il au prêtre, à qui il remit néanmoins quelques
pièces pour des services qu’il ne rendrait pas. L’Inquisition l’avait décrété.
— Je le sais, répondit l’ecclésiastique.
— Je ne peux pas t’expliquer, dit-il ensuite à Miguel,
qui avait écouté ses paroles avec stupeur.
— Vous avez dit sous l’emprise du démon,
seigneur ? glapit l’enfant en perdant l’équilibre. Même dans son silence,
votre mère souffrait plus… que moi quand on m’utilisait pour demander
l’aumône ! Elle méritait un enterrement…
— Je
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