Les révoltés de Cordoue
C’est lui qui m’avait indiqué où
habitait Aisha. Il avait dû me suivre et il a attendu que je finisse de parler
avec elle pour me barrer la route et m’assaillir de questions…
— Lui as-tu dit quelque chose à mon sujet ?
l’interrompit de nouveau Fatima.
— Non, señora. Je lui ai raconté ce que j’avais préparé
au cas où ça tournerait mal : que je cherchais Hernando car je disposais
d’un excellent pur-sang arabe, obtenu en échange d’une quantité d’huile, et que
je souhaitais qu’il le dresse…
— Et ?
— Il ne m’a pas cru. Il a insisté pour savoir ce qu’il
y avait dans la lettre qu’Aisha avait déchirée en mille morceaux et jetée dans
le Guadalquivir, mais j’ai tenu bon. Je vous l’assure.
— Que t’a dit Abbas ? interrogea Fatima, dressée
face au garçon, tendue à l’extrême.
Elle venait d’écouter ce que lui avait dit Efraín à propos
d’Aisha, désormais vieille et malade. Peut-être… était-elle devenue
folle ? avait envisagé Fatima. Mais Abbas ne pouvait mentir ! Il
était l’ami d’Hernando et ils avaient travaillé au coude à coude, risquant leur
vie pour la communauté. Abbas ne pouvait mentir.
Efraín hésita.
— Señora… ce Jerónimo, ou Abbas, comme vous l’appelez,
m’a confirmé tout ce que venait de me dire la mère. Ce soir-là, il m’a offert
l’hospitalité dans la maison d’un dénommé Cosme, un de ses amis, un homme très
respecté dans la communauté maure de Cordoue. Tous deux m’ont répété, avec plus
de détails, les paroles d’Aisha. Juste après qu’on vous a crue morte, parce
qu’on vous croit morte, señora, vous et vos enfants…
Fatima hocha la tête avec un soupir.
— … moins de un an après, votre époux est allé vivre
dans le palais du duc de Monterreal. Ils suintent de haine envers le nazaréen,
señora.
Le père d’Efraín s’agita avec inquiétude à cause du surnom
qu’avait employé son fils, mais Fatima ne cilla pas. Son expression se durcit
et elle serra les poings plus fortement.
— Toute la communauté maure le déteste pour ses actes
et sa trahison. Je l’ai constaté auprès de plusieurs habitants maures de la
maison de Cosme. Je suis désolé, ajouta le jeune juif après quelques instants
de silence.
Pendant le long voyage d’Efraín de Tétouan à Cordoue, et de
Cordoue à Tétouan, Fatima avait eu le temps d’imaginer mille hypothèses :
Hernando avait peut-être refait sa vie et refuserait de quitter la capitale des
califes. Elle l’aurait compris ! Elle s’était même préparée à
l’éventualité de sa mort. Elle savait qu’une terrible épidémie de peste avait
décimé la population de Cordoue six ans plus tôt. Peut-être ne voudrait-il pas
non plus abandonner son poste d’écuyer aux écuries royales qui le satisfaisait
tant, ou déciderait-il tout simplement que la communauté avait besoin de lui
là-bas, sur des terres chrétiennes, pour copier le Livre révélé, les
calendriers ou les prophéties ?… Ça aussi, elle l’aurait compris !
Mais jamais elle n’aurait pu concevoir qu’Hernando ait trahi ses frères et ses
croyances. Elle-même n’avait-elle pas renoncé à sa liberté et donné tout son
argent pour le rachat d’un esclave maure ?
— Et tu dis ?…
Fatima vacilla. C’était l’époque où ils vivaient ensemble,
les années du soulèvement des Alpujarras, où ils avaient souffert mille maux
pour leur Dieu, avec Ubaid et Brahim qui les maltraitaient et les humiliaient.
Comment Hernando aurait-il pu trahir en secret ? Il lui avait raconté qu’il
s’était échappé de la tente de Barrax avec ce noble chrétien, mais comment
pouvait-il lui avoir caché la vérité après les sacrifices qu’elle avait
elle-même endurés pour se marier avec lui ? Elle avait perdu son petit
Humam dans cette guerre sainte !
— Tu dis qu’il a sauvé la vie de plusieurs chrétiens
dans les Alpujarras ?
— Oui, señora. On en a la certitude pour le noble qui
l’a ensuite hébergé dans son palais, et pour l’épouse d’un magistrat de la
chancellerie de Grenade, mais les gens parlent de beaucoup plus.
Fatima explosa. Les cris et les insultes qui surgirent de sa
gorge résonnèrent dans la pièce. Elle marcha furieuse jusqu’au patio, où elle
leva les bras au ciel et laissa échapper un hurlement de rage et de douleur. Le
vieux juif fit un signe à son fils et tous deux quittèrent le palais.
Quelques jours plus tard,
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