Les révoltés de Cordoue
maintenant de ce document. Nous le
ferons seulement quand nous aurons l’assurance que le sultan est prêt à
soutenir notre plan. Jusqu’à présent, les Turcs ne se sont pas précisément
distingués par leur aide envers notre peuple.
Alors que les trois autres discutaient du moment et de la
façon de révéler les plombs à la chrétienté, Hernando annonça qu’il rentrait à
Cordoue.
— Tu es resté pensif toute la journée, fit remarquer
Castillo. On dirait que tu ne partages pas nos espoirs. Tout cela, ajouta-t-il,
c’est le fruit de ton travail, Hernando, des années de travail. Une œuvre
exceptionnelle. Que t’arrive-t-il ?
Il n’avait pas préparé de réponse. Il hésita. Se grattant le
menton, il regarda ses compagnons dans le blanc des yeux.
— Je suis rempli de doutes. J’ai besoin… Je ne sais
pas. Je ne sais pas ce dont j’ai besoin. Mais peut-être vaut-il mieux en ce moment
que je n’interfère pas dans votre travail…
— Notre travail ? s’écria don Pedro. Tu en es
l’artisan… !
Hernando le pria de se taire d’un geste calme de la main.
— Oui. C’est exact. Et je ne le renie pas, bien
entendu, mais j’ai le pressentiment qu’aujourd’hui je ne vous serais pas d’un
grand secours.
— Tu es vide, intervint alors Miguel de Luna.
Hernando posa ses yeux bleus sur lui.
— Tu t’es vidé, c’est normal. Tu as travaillé très dur.
Repose-toi. Cela te fera du bien. Nous nous chargerons du reste.
— Ma mère est morte à cause de ce projet, avoua alors
Hernando à leur grande surprise.
Don Pedro, Miguel de Luna et Alonso del Castillo virent les
traits de son visage se contracter. En leur présence, il luttait pour retenir
ses larmes. Le noble baissa les yeux, les deux autres se cherchèrent du regard.
— Elle n’a pas pu supporter l’idée que son fils s’était
vendu aux chrétiens, et j’avais juré de ne pas dévoiler notre plan.
Il respira profondément et termina d’une voix
tremblante :
— Pour l’heure, mes amis, c’est tout ce que ces plombs
m’ont rapporté.
Sur la route de Cordoue Hernando fit claquer sa langue pour
asticoter Estudiante. Il avait quitté Grenade à l’aube, sans chercher de
compagnie pour ce long voyage. Lorsqu’il traversa la vega grenadine, il se mit
debout sur ses étriers et, levant les yeux, il observa les sommets blancs de la
Sierra Nevada qu’il laissait derrière lui. Il faisait froid. Les villages les
plus hauts des Alpujarras, sur l’autre versant, devaient également être
couverts de neige. Juviles. Il avait passé là-bas son enfance, avec sa mère… et
Hamid. Il secoua la tête quand une nuée de grives qui volait très bas lui frôla
la tête. Il les vit remonter comme si elles se disposaient à atteindre les
sommets de la montagne, mais un peu plus loin elles revinrent vers les champs
cultivés. Il s’assit de nouveau sur sa monture et, les rênes lâchées sur le
garrot d’Estudiante, se frotta vigoureusement les mains et souffla dessus.
Maisons et fermes étaient disséminées sur les terres fertiles de la vega. Ici
et là on apercevait des hommes qui travaillaient aux champs. Au loin, l’un
d’eux leva les yeux au passage du cavalier. Hernando scruta l’horizon et
soupira devant le long chemin solitaire qui s’étendait devant lui. Le cliquetis
rythmique des sabots d’Estudiante sur la terre durcie par le froid, qui
résonnait à ses oreilles, était sa seule compagnie.
Miguel perçut aussitôt le chagrin et l’affliction de son
seigneur et ami. Il attendait son retour avec inquiétude pour pouvoir lui
parler de Rafaela, comme ils se l’étaient promis avant son départ, mais
lorsqu’il le vit dans cet état, il n’osa pas. Au cours des jours suivants, il
se contenta de lui faire part des événements survenus pendant son absence, dans
la maison, sur les terres et à la ferme. Il avait fini par affronter Toribio à
propos de sa méthode violente de dressage, lui expliqua-t-il, furieux, levant
avec menace l’une de ses béquilles.
— Il maltraitait un poulain sans raison !
cria-t-il. Il lui plantait les éperons et l’animal était incapable de
comprendre ce qu’il attendait de lui.
Mais même cet incident n’avait pas réussi à capter l’intérêt
d’Hernando qui, malgré ses sorties à cheval et quelques escapades nocturnes au
bordel, demeurait nostalgique.
— Seigneur, souffla un jour Miguel en bondissant
derrière lui dans la galerie qui donnait sur le
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