Les révoltés de Cordoue
par exemple les successives professions de foi
musulmanes et la nature d’Isa, devront être interprétés selon nos croyances.
— Mais comment parvenir à connaître le contenu d’un
livre illisible ? questionna l’orfèvre.
— On ne pourra pas déchiffrer ce texte, expliqua
Hernando. Il suffit qu’il soit admis comme l’évangile de la Vierge. Si les
chrétiens acceptent les plombs, il faudra qu’ils acceptent aussi l’arrivée de
ce roi arabe qui est annoncé et fera découvrir le véritable évangile, qu’aucun
pape ou évangéliste n’aura pu falsifier. Et nul ne pourra prétendre que le
contenu de cet évangile contredit celui du Livre muet… Ainsi la boucle sera
bouclée : l’énigme du Livre muet, ou évangile de la Vierge, sera résolue
grâce à cet évangile venu des terres arabes. Personne ne sera en mesure de
douter de ce dernier sans remettre en cause tout ce qui précède, qui aura déjà
été accepté.
« Personne ne pourra alors douter de l’évangile de
Barnabé », se dit-il en son for intérieur.
Hernando passa la nuit dans la maison de Munir, où il eut
l’occasion de prier avec un uléma, ce qui ne lui était pas arrivé depuis très
longtemps. Ils se plongèrent ensuite dans une intime et profonde conversation
qui se prolongea jusque tard dans la nuit. Dans ces régions perdues du royaume
de Valence, les musulmans maintenaient plus vivement leurs croyances. Les
seigneurs, intéressés seulement par le profit que leur rapportaient les Maures,
se montraient indulgents envers leur mode de vie, et il n’y avait pas de
prêtres pour les évangéliser.
Au matin, Munir et deux jeunes Maures l’accompagnèrent jusqu’aux
abords d’Almansa, où ils arrivèrent à la nuit tombée. Hernando entra dans la
ville en quête d’une auberge et de compagnons avec qui entreprendre le voyage
jusqu’à Grenade. Les Maures, en dépit du froid de l’hiver, se préparèrent à
passer la nuit à la belle étoile, cachés, puisqu’ils ne disposaient pas des
cédules nécessaires pour quitter Jarafuel.
— Que Celui qui guide sur le droit chemin t’accompagne
et te le révèle, dit l’uléma à Hernando en prenant congé.
Il mit quatre jours pour arriver à Grenade, accompagné tour
à tour de marchands, de religieux et de soldats qui se dirigeaient vers Murcia
ou vers la ville de l’Alhambra. Il portait dans les sacs plus d’une vingtaine
de médaillons en plomb, soigneusement choisis parmi la quantité ciselée par Binilit.
Il avait opté pour deux livres : Les Fondements de l’Église et L’Essence de Dieu, en plus d’une série de plombs qui annonçaient le martyre
de plusieurs disciples de saint Jacques, dont celui de san Cecilio, où Hernando
avait inclus une référence au texte de la Turpiana, ruse à travers laquelle il
souhaitait octroyer au parchemin la crédibilité dont certains exégètes
continuaient de douter.
Avant de partir, il avait promis à l’orfèvre que lui ou ses
amis grenadins se chargeraient de récupérer les plombs qui restaient. Au cours
de ces journées de voyage, il se vanta en public de son travail pour
l’archevêque de Grenade, montrant la cédule qui lui permettait de se déplacer
librement, et certains écrits qu’il qualifia de crimes atroces des Alpujarras
et qu’il avait mis dans les sacs pour dissimuler les plombs. Qui allait fouiner
là-dedans sachant qu’ils contenaient les écrits sur les martyrs des
Alpujarras ?
Dans tous les cas, il ne se sépara pas des sacs et, dans les
auberges où il s’arrêta sur la route, il dormit la tête posée dessus.
Il perdit une journée entière à Huéscar, localité qu’il
atteignit un samedi soir. Le dimanche, il se rendit à la grand-messe et passa
le reste de la matinée à attendre que le prêtre lui certifie par écrit
l’accomplissement de ses obligations religieuses, document qu’il devrait
présenter au curé de Santa María à son retour à Cordoue. Pendant qu’il
attendait dans l’église, trois frères franciscains déchaussés, informés par le
prêtre qu’il était en route pour Grenade, lui offrirent leur compagnie
puisqu’ils allaient dans la même direction.
— Comme vous le comprendrez sûrement, allégua-t-il
lorsqu’il évoqua le martyrologe des Alpujarras et que les franciscains
demandèrent à voir les textes, tout est confidentiel. Tant que l’archevêque n’a
pas donné son consentement, personne ne doit les lire.
C’est ainsi qu’Hernando
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