Les révoltés de Cordoue
de labeur, au moment où il
remettait son œuvre à don Pedro, Luna et Castillo, qui l’attendaient dans la
maison de los Tiros, il fut assailli par les doutes sur l’utilité de ses
efforts et de son travail.
Les trois hommes prirent les médaillons avec solennité et se
les passèrent à tour de rôle, absorbés par leur contenu. Hernando s’écarta de
quelques pas et se posta devant une fenêtre de la Salle dorée, perdu dans la
contemplation du couvent des franciscains qui s’étendait devant le palais de
los Tiros. Se faisaient-ils des illusions ? s’interrogea-t-il. Le pays
entier était envahi par des légendes, des mythes et des fables. Il les avait
lus et étudiés ; il avait recopié des centaines de prophéties maures. Mais
tout cela pénétrait seulement les esprits crédules d’un peuple ignorant, qu’il
fût chrétien ou musulman, avide de s’adonner à toute sorte de sortilèges et
d’enchantements.
Quelques jours
plus tôt, à Jarafuel, à la vue de la Muela de Cortes, de l’autre côté de la
vallée, alors qu’ils évoquaient l’avenir des Maures en Espagne, Munir lui avait
raconté une prophétie, très répandue sur ses terres, qu’Hernando ne connaissait
pas : les habitants de la région croyaient qu’un jour le chevalier maure
al-Fatimi ou Alfatimi, caché dans les montagnes depuis l’époque de
Jacques I er le Conquérant, soit plus de trois cents ans
auparavant, viendrait les délivrer.
— Le seul point de discorde entre les gens, s’était
lamenté le jeune uléma, c’est la couleur verte : correspond-elle au cheval
ou au cavalier ? Aux deux, pour certains.
Un chevalier vert de plus de trois cents ans qui viendrait
les sauver… Les ingénus !
Hernando observa ses compagnons de la Salle dorée qui
examinaient les plombs avec minutie. Il hocha négativement la tête avant de regarder
à nouveau par la fenêtre. Les plombs étaient différents. Il ne s’agissait pas
de simples prophéties. Les plombs étaient appelés à changer le monde des
croyances religieuses, à miner les fondements de l’Église chrétienne. Évêques,
prêtres, moines et intellectuels, hommes doctes et instruits, étudieraient leur
contenu. L’affaire parviendrait certainement jusqu’à Rome ! Hernando n’y
avait jamais pensé lorsqu’il travaillait, concentrant son imagination sur des
traditions, des histoires et des légendes autour de la Vierge, mélangeant des
vies de saints et d’apôtres, voyageant avec ambiguïté entre l’une et l’autre
religion, laissant des coquilles ici et là. Qui était-il pour changer le cours
de l’Histoire ? Dieu l’avait-il illuminé ? Lui ? L’apprenti
muletier d’un humble village des Alpujarras ? Pédant !
Prétentieux ! pensa-t-il. Alors il se souvint de tout ce qu’il avait écrit
sur ces petits médaillons et cela lui parut grossier, vulgaire, simple,
équivoque…
— Magnifique !
Il sursauta.
Don Pedro, Luna et Castillo souriaient. C’est
magnifique ! s’était exclamé Alonso del Castillo. Et les deux autres
s’étaient unis à ses éloges. Pourquoi ne parvenait-il pas à partager leur
enthousiasme ? Il leur dit qu’il faudrait aller chercher les plombs
restants chez Binilit. Il leur dit aussi que les médaillons devaient être
accompagnés d’os et de cendres, qu’il n’avait pas pu les rapporter de Cordoue.
Il les pria de bien vouloir, en son nom, remettre ses écrits sur les martyrs au
conseil de la cathédrale. Castillo lui réclama une fois de plus la copie de
l’évangile de Barnabé, mais il ne l’avait pas. Il l’avait détruite quand on
l’avait expulsé du palais du duc, et il ne l’avait pas réécrite ; ce
n’était pas, selon lui, le plus important. L’étude et la rédaction des plombs avaient
occupé tout son temps.
— Et pourquoi ne pas envoyer l’exemplaire que nous
possédons ? Nous devons faire parvenir cet évangile à la Sublime Porte. Le
sultan est appelé à le faire connaître, déclara don Pedro avec urgence.
Luna s’efforça de calmer le noble :
— Ce ne sera pas nécessaire avant des années. Pour le
moment il reste caché en lieu sûr, mais à présent que tu as terminé ce travail
magnifique avec les plombs, Hernando, tu pourrais consacrer ton temps à la
transcription de l’évangile afin que nous puissions l’étudier nous aussi. Je
meurs d’envie de le lire.
— Je suis d’accord avec Luna, renchérit Hernando. Il ne
me semble pas raisonnable de se défaire
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