Les révoltés de Cordoue
patio, vous connaissez
l’histoire du chat qui voulait monter à cheval ?
Hernando s’arrêta. Le tintement des béquilles dans son dos
cessa également.
— Il s’agit d’un chat brun…
— Je connais l’histoire, l’interrompit Hernando. Je
t’ai entendu la raconter à ma mère à l’auberge del Potro. Il s’agit d’un noble
chevalier que des méchantes sorcières transforment en chat et qui sera libéré
de l’enchantement seulement s’il réussit à monter et à diriger un cheval de
guerre. Mais je ne me souviens pas de la fin, peut-être ne l’ai-je pas
entendue…
— Dans ce cas, je devrais peut-être vous raconter celle
du chevalier qui vivait enfermé dans une tour, toujours seul…
Miguel suspendit sa phrase, à dessein. Hernando soupira.
Quelques instants passèrent.
— Je crois que cette histoire ne me plaira pas, Miguel.
— Peut-être, mais vous devriez l’écouter… Le chevalier…
Hernando lui fit signe de se taire.
— Que cherches-tu à me dire, Miguel ?
demanda-t-il, le visage sérieux.
— Qu’il n’est pas bon de rester seul ! répliqua
celui-ci en élevant la voix. À présent vous avez terminé votre travail.
Qu’allez-vous faire ? Passer la journée dans cette pièce, entouré de
livres ? Pourquoi ne pas vous remarier ? Avoir des enfants ?
Hernando ne répondit pas. Miguel, d’un geste las, fit
demi-tour et s’éloigna en boitillant sur ses béquilles.
Hernando, une fois de plus, trouva refuge dans sa
bibliothèque. Dans l’intimité de la pièce il contempla les trente et quelques
livres avec lesquels il avait travaillé pendant sept ans sur les plombs, tous
soigneusement classés sur les étagères. Il tenta d’en relire certains, sans
succès. Il se fatiguait vite. Il essaya aussi de se consacrer à la
calligraphie, mais sa plume glissait avec maladresse sur le papier. Comme s’il
avait perdu le lien spirituel qui l’unissait à Dieu au moment où il lui fallait
dessiner les caractères appelés à l’exalter. Hernando prit avec délicatesse la
dernière plume qu’il avait préparée et vérifia sa pointe légèrement courbée ;
elle était bien taillée… Soudain, il comprit. Le lien avec Dieu ! Il
frappa du poing son bureau. C’était cela !
Le lendemain matin, Hernando prit le chemin de la mezquita.
Auparavant, chez lui, il s’était livré aux ablutions obligatoires. Peut-être
avait-il oublié son Dieu ? pensa-t-il pendant le cours trajet jusqu’à la
porte du Pardon. Il avait passé sept ans à écrire sur la Vierge, l’apôtre
Jacques et une pléiade de saints et de martyrs venus dans ces royaumes. Ses
intentions étaient bonnes, mais tout ce travail… avait peut-être miné ses
propres croyances, la pureté de ses convictions. Il sentait qu’il avait besoin
de se placer face au mihrab, même profané par les chrétiens, et de prier,
debout, en silence. Si la taqiya leur permettait de cacher leur foi sans qu’on
puisse considérer qu’ils péchaient ou reniaient leur religion, pourquoi ne pas
prier en cachette dans la mezquita ? Là, derrière le sarcophage du
gouverneur principal de la frontière, don Alonso Fernández de Montemayor, se
trouvait l’un des plus splendides lieux de culte créés par les partisans du
Prophète tout au long de l’histoire. Il franchit la porte du Pardon et traversa
le verger. Les murs des galeries qui l’entouraient étaient toujours couverts
d’innombrables san-benito des condamnés de l’Inquisition, avec leurs noms et
leurs crimes mentionnés dessus, et les réfugiés erraient là, cherchant à
s’abriter du froid de cette matinée plombée. La forêt de merveilleux arcs de la
mezquita lui apporta un souffle de tranquillité. Il marcha dans le temple le
cœur plus léger. Prêtres et fidèles allaient et venaient. Dans les chapelles
latérales, on célébrait des messes et des offices. Les travaux du transept et
du chœur étaient interrompus depuis des années et restaient en l’état,
attendant que soient construits le ciborium, sa coupole, le chœur et la voûte
censée le recouvrir. Les chrétiens étaient mesquins avec leur Dieu, pensa
Hernando en passant au milieu des travaux inachevés : évêques et rois
vivaient dans l’opulence, et ils préféraient gaspiller luxueusement leur argent
plutôt que le destiner à leurs temples.
« Oh, vous qui croyez ! », crut-il lire en
arrivant devant le mihrab, sous le plâtre qu’avaient badigeonné les chrétiens
pour
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