Les révoltés de Cordoue
cacher la Parole révélée. Il s’agissait du début des inscriptions coufiques
de la cinquième sourate du Coran, écrites sur la corniche qui donnait accès au
lieu sacré. Mentalement, il continua à réciter : « Quand vous serez
prêts à faire la prière… »
Alors, tandis qu’il priait, il comprit, comme si Dieu récompensait
sa dévotion : la vérité, la Parole révélée et ciselée sur un marbre dur et
précieux, dissimulée derrière un vulgaire crépi, qui tomberait au moindre
coup ! N’était-ce pas la même chose que les plombs ? La vérité,
l’unique, la primauté de l’islam cachée derrière les mots et les manipulations
des papes et des prêtres ; une fiction qui s’éboulerait avec la révélation
du Livre muet, comme pouvait le faire à tout moment le plâtre fragile qui
occultait la Parole révélée dans le mihrab de la mezquita de Cordoue. Il leva
les yeux vers les doubles arcs qui s’élevaient au-dessus d’arcs simples et
reposaient sur de splendides colonnes en marbre : la puissance de Dieu
tombait verticalement sur ses fidèles, à l’inverse des chrétiens, qui
cherchaient des bases solides. Le poids de la volonté divine sur d’humbles
croyants comme lui. Il remplit ses poumons de cette fantastique certitude,
réprimant les cris par lesquels il aurait désiré continuer à prier le Dieu
unique, et il se mordit les lèvres pour étouffer ses murmures.
Ce même jour, sur la colline de Valparaíso de Grenade, deux
chercheurs de trésors, parmi les nombreux qui sillonnaient les terres
grenadines en quête des merveilles laissées par les Maures lors de leur départ
précipité, trouvèrent dans une des grottes d’une mine abandonnée de la colline,
juste au-dessus de l’Albaicín, une étrange lame de plomb écrite dans un latin
presque indéchiffrable.
La découverte, inintelligible pour les chercheurs, parvint
entre les mains de l’Église et fut confiée à un jésuite qui, dès qu’il en eut
fait la traduction, déclara qu’il s’agissait d’un véritable trésor. C’était une
inscription funéraire annonçant que les cendres enterrées là étaient celles de
san Mesitón martyr, exécuté sous le règne de l’empereur Néron, un des sept
apostoliques de la légende, dont les restes n’avaient jamais été retrouvés.
Immédiatement, l’archevêque don Pedro de Castro ordonna que les cendres de la
grotte soient recueillies et les mines fouillées et nettoyées afin de
poursuivre les recherches. Au cours du mois de mars de cette même année, on
découvrit une autre lame faisant référence à l’enterrement de san Hiscio, ainsi
que des cendres et des os humains calcinés. Avant la fin du mois apparut Le
Livre des fondements de l’Église et peu après Le Livre de l’essence de
Dieu. Le 30 avril, en pleine extase religieuse de la Semaine sainte,
alors que les Grenadins sentaient dans leur propre chair et dans leur
conscience la Passion du Christ, une fillette nommée Isabel trouva la lame qui
certifiait le martyre de san Cecilio, patron de Grenade et premier évêque
d’Ilíberis. Et près de cette lame, on découvrit enfin les reliques du saint, si
désirées et si recherchées.
Grenade tout entière explosa de ferveur religieuse.
Après cette visite à la mezquita, Miguel perçut chez
Hernando un changement positif d’attitude. Il souriait à nouveau et ses yeux
bleus avaient recouvré l’éclat qui les caractérisait. C’était le bon moment, il
fallait qu’il lui parle, la situation de Rafaela était critique : son
père, le magistrat don Martín, était sur le point de conclure un arrangement
avec l’un des nombreux couvents de la ville. Un après-midi, après manger,
Miguel grimpa laborieusement l’escalier jusqu’à la bibliothèque du premier
étage. Son seigneur et ami était plongé dans la calligraphie.
— Seigneur, voilà un bout de temps que je voudrais vous
parler de quelque chose, dit-il sur le seuil de la porte, respectant cet espace
qu’il considérait pratiquement comme sacré.
Il attendit qu’Hernando relève la tête.
— Dis-moi. Que se passe-t-il ?
Miguel se racla la gorge et entra en boitant dans la pièce.
— Vous vous souvenez de la jeune fille dont je vous ai
parlé avant votre départ à Grenade ?
Hernando soupira. Il avait complètement oublié sa promesse.
Il ignorait ce que Miguel attendait de lui, et pourquoi la fille lui importait
tant, mais le visage préoccupé de son ami, d’où
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