Les révoltés de Cordoue
d’esquisser un triste sourire au
souvenir du fort caractère de Fatima. Efraín s’en aperçut.
— Mille fois elle m’obligera à tout répéter !
— Et faites-le mille fois s’il le faut. Dites-lui…
dis-lui que moi aussi je l’aime toujours, que je n’ai jamais cessé de l’aimer.
Mais la vie… Le destin a été cruel pour nous deux. J’ai passé la moitié de ma
vie à pleurer sa mort. Demandez-lui pardon pour moi.
— Pardon pour quoi ?
— Je me suis remarié… J’ai d’autres enfants.
Le juif acquiesça.
— Elle le sait et le comprend. La vie n’a été facile
pour aucun de vous. Rappelez-vous : la mort est une longue espérance.
C’est la première chose qu’elle m’a chargé de vous dire.
Efraín fut logé dans la maison d’Hernando, où il passa la
nuit avant de repartir à Tétouan. Prévenu par son hôte que Rafaela ne devait à
aucun moment savoir la raison qui l’avait amené là, le juif se montra d’une
discrétion extrême et d’une grande politesse. Sa courtoisie n’était pas
désintéressée : il devait pouvoir fournir à Fatima toutes les informations
qu’elle exigerait de lui sur l’épouse chrétienne d’Hernando. Comment
est-elle ? L’aime-t-il ?
Pendant la nuit, absorbé par le souvenir de Fatima, Hernando
se montra terriblement froid et distant à l’égard de Rafaela. Peu de temps
après, alors qu’Hernando se consacrait entièrement à écrire le Coran et à prier
dans la mezquita, croyant trouver la communion dans la distance que Fatima lui
avait demandée, Rafaela donna naissance à leur troisième enfant. Lazare, ainsi
qu’ils baptisèrent le petit en présence de parrains chrétiens désignés par le
curé, et qu’ils ne connaissaient pas, rompit avec la tradition et naquit avec
d’immenses yeux bleu clair. Dans ce nouveau-né ressurgissait la marque du
prêtre chrétien qui avait souillé une innocente fillette mauresque !
analysa aussitôt Hernando. Ce ne pouvait être qu’un signe divin.
— Son nom sera Muqla, en honneur du grand calligraphe,
annonça-t-il le jour du baptême, devant Rafaela et Miguel, après avoir lavé à
l’eau chaude les huiles ointes sur le corps du bébé. Dans cette maison, c’est
ainsi qu’il faudra l’appeler.
Rafaela baissa les yeux et hocha la tête avec un murmure
imperceptible.
— Ce ne sera pas dangereux ? s’inquiéta Miguel.
— Le seul danger, c’est de vivre en se détournant de
Dieu.
Dès lors, Hernando décida que le moment était venu
d’expliquer à ses enfants un peu plus que des légendes musulmanes. Il renvoya
le précepteur et prit lui-même en charge l’éducation de Juan et Rosa, qu’il
rebaptisa Amin et Laila. Le Coran, la Sunna, la poésie et la langue arabe, la
calligraphie, l’histoire de son peuple et les mathématiques devinrent soudain
les matières qu’il enseigna à ses enfants en présence de Muqla, en permanence à
ses côtés, dans son berceau, qu’il endormait en lui chantant des sourates.
Amin, âgé de huit ans, avait déjà acquis certaines connaissances, mais la
fillette, qui n’en avait que six, eut plus de mal à s’habituer au changement.
— Peut-être devrais-tu attendre que Rosa grandisse un peu,
lui donner plus de temps ? avança Rafaela.
— Elle se nomme Laila, rectifia Hernando. Rafaela, sur
ces terres les femmes sont appelées à enseigner et à divulguer la foi
véritable. Elle doit faire un effort. Ils ont beaucoup à apprendre. Et quand le
feront-ils sinon ? C’est à cet âge qu’il faut apprendre nos lois. Je
crois… que j’ai commis trop d’erreurs.
La réponse ne satisfit pas Rafaela.
— C’est une situation très compliquée, remarqua-t-elle.
Tu mets en danger notre famille. Si quelqu’un venait à savoir… Je ne veux même
pas y songer.
Hernando laissa passer quelques instants, regardant fixement
son épouse.
— Tu le savais, n’est-ce pas ? dit-il finalement.
Miguel t’avait prévenue avant notre mariage. Il t’a avoué que je pratiquais la
foi véritable.
Rafaela acquiesça.
— Par conséquent, quand tu t’es mariée avec moi, tu as
accepté que nos enfants soient élevés dans les deux cultures, les deux
religions. Je ne te demande pas de partager ma religion, mais mes enfants…
— Ce sont aussi les miens, répliqua-t-elle.
Cependant, Rafaela n’insista pas davantage, et elle
n’intervint pas non plus dans l’éducation des enfants. Le soir, toutefois, elle
priait avec eux, comme
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