Les révoltés de Cordoue
elle l’avait toujours fait, et Hernando n’y voyait rien
à redire. Tous les jours, après la fin des cours, il se lavait, se purifiait,
et se rendait à la mezquita pour s’adresser à Dieu face au mihrab, parfois
tranquille, immobile devant l’endroit où devaient se trouver ces graphismes
sacrés ciselés dans du marbre, parfois caché, un peu plus loin, quand il
estimait que sa présence pouvait entraîner des soupçons. « Je suis là,
Fatima ! murmurait-il pour lui-même, quoi qu’il arrive. » La mezquita
ne cessait de le lui rappeler : les chrétiens s’en étaient désormais
emparés définitivement. La sacristie, le transept et le chœur venaient d’être
achevés, et le ciborium se dressait au-dessus des contreforts pour montrer au
monde entier la magnificence d’un temple si désiré. Même l’ancien verger où se
retiraient les délinquants protégés par le droit d’asile sacré avait été
rénové. Les san-benito des condamnés de l’Inquisition étaient toujours
accrochés macabrement aux murs des galeries, mais le verger était à présent
aménagé, avec des chemins pavés et des fontaines entre les orangers. Les gens
l’appelaient dorénavant le Patio des orangers.
Religieux, nobles et humbles s’enorgueillissaient de leur
nouvelle cathédrale et chaque expression d’émerveillement, chaque commentaire
vaniteux qu’Hernando pouvait entendre de la part des fidèles devant l’immense
œuvre le dérangeait et l’irritait. Cette cathédrale hérétique venue profaner le
plus grand temple musulman d’Occident était l’exemple même de ce qui se passait
dans toute la Péninsule : les chrétiens les écrasaient et Hernando devait
continuer à se battre, au prix de sa vie et de celle de ses enfants.
Souvent il demeurait perdu dans ses pensées aux portes de la
sacristie, devant la Santa Cena d’Arbasia. Alors il se rappelait les
jours passés là, quand la bibliothèque existait encore, avec don Julián,
travaillant pour ses frères dans la foi au nez et à la barbe des prêtres.
Qu’était devenu le peintre italien ? Il regardait la silhouette féminine
au côté de Jésus. Lui aussi avait mis en avant une femme, la Vierge, dans les
plombs du Sacromonte. Mais pour l’heure, les informations qu’il recevait de
Grenade n’allaient pas dans le sens des résultats souhaités.
Lorsqu’il ne priait pas ou n’instruisait pas ses enfants,
Hernando montait à cheval. Miguel faisait un excellent travail et les poulains
qui naissaient à la ferme étaient chaque fois plus cotés parmi les riches et la
noblesse de toute l’Andalousie. Ils avaient même réussi à vendre quelques
exemplaires à des courtisans madrilènes. Régulièrement, l’infirme envoyait à
Cordoue des poulains déjà dressés par le personnel de la ferme. Il choisissait
les meilleurs, ceux qu’il pensait susceptibles de mériter l’apprentissage de
son seigneur. Pendant quelque temps, Hernando les montait et sortait à la
campagne, où il perfectionnait la technique des bêtes. Il apprenait également à
monter à Amin, qui l’accompagnait sur le dos d’Estudiante, vieux et docile
désormais, et semblant comprendre qu’il ne devait pas bouger un seul muscle
quand l’enfant était sur lui. En présence d’un Amin enthousiaste, criant et
applaudissant à la vue de son père esquivant les cornes des taureaux, Hernando
se remit à toréer dans les pâturages. La triste expérience d’Azirat appartenait
au passé. Ensuite, quand il considérait que les poulains étaient suffisamment
dressés, il les renvoyait à Miguel afin que ce dernier les mette en vente.
Hernando vit avec orgueil certains d’entre eux affronter des taureaux à la
Corredera lors de festivités, avec plus ou moins de réussite selon l’art des
seigneurs cordouans qui les montaient, mais toujours avec de la noblesse et de
belles manières.
Le soir il s’enfermait dans la bibliothèque, et après avoir
calligraphié en couleurs une nouvelle sourate de son coran, avec des lettres
surgies de son union avec Dieu, il copiait d’autres exemplaires d’une écriture
rapide, interlignant sa traduction en aljamiado, ainsi qu’il l’avait fait en
compagnie de don Julián à la bibliothèque. Il était revenu à cela. Puis il
faisait parvenir gratuitement les livres à Munir. Ce dernier, en dépit de leur
dernier contact et de son refus de transmettre la lettre à Fatima, les
acceptait pour le bien de la communauté, comme le lui avait fait
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