Les révoltés de Cordoue
mais personne ne put le vérifier. Fatima pleura le sort de son fils,
même si dans son for intérieur elle était consciente que leurs relations
n’avaient plus été les mêmes après ce qui s’était passé à Toga entre les
corsaires et Ibn Hamid.
Immédiatement, la veuve et les enfants de Shamir s’étaient
jetés sur le grand patrimoine que ce dernier laissait et les juges, sans
hésiter, leur avaient donné raison.
Les rapports entre Fatima et la famille de Shamir
demeuraient très distants : il était seulement son beau-fils par alliance.
Les parents de sa veuve lui accordèrent néanmoins un délai pour quitter le
palais. Que deviendrait-elle désormais ? Vivrait-elle de la charité de
l’épouse d’Abdul ou d’une de ses filles ?
Il existait une autre solution. Elle en avait parlé avec
Efraín ; le juif lui-même la lui avait suggérée dès qu’il avait été informé
de sa situation. Sans Efraín, il était impossible que la famille de Shamir
apprenne les placements qui, dans l’intérêt du corsaire, étaient maintenus
partout en Méditerranée, ce dont Fatima pouvait tirer profit. Le juif ne
désirait pas perdre la direction et les bénéfices de tous ces marchés que, très
certainement, la famille de Shamir ne lui confierait plus. Fatima continuerait
à être riche, mais pas à Tétouan, où elle ne pourrait jamais justifier la
provenance de cet argent.
Elle déambula dans le salon en effleurant distraitement les
meubles du bout des doigts. Sans Abdul et Shamir elle se retrouvait seule, mais
elle était enfin totalement libre. Plus rien ne la retenait à Tétouan. Pourquoi
ne pas partir d’ici pour toujours ? Juste au moment où Ibn Hamid allait
être expulsé d’Espagne tandis que son insipide épouse chrétienne était forcée
de rester là-bas. Qui, sinon Dieu, pouvait lui envoyer un message aussi
clair ?
Elle sortit dans le patio et contempla l’eau qui coulait de
la fontaine. Bientôt, pensa-t-elle, elle ne la verrait plus.
Constantinople ! Elle pourrait vivre là-bas. Fatima s’autorisa à penser à
Ibn Hamid, ce qu’elle avait tâché d’éviter ces dernières années : il
devait avoir cinquante-six ans, un an de plus qu’elle. Comment était-il ?
Comment avait-il résisté au passage du temps ? Ses doutes se dissipèrent
brusquement. Oui ! Elle devait le revoir ! Le destin, qui les avait
cruellement séparés, leur offrait à présent l’opportunité de se retrouver. Et
elle, Fatima, qui avait souffert et tué, aimé et haï, n’avait pas l’intention
de la laisser filer.
— Rappelez Efraín ! décida-t-elle finalement, en
s’adressant à ses esclaves.
Le juif lui avait dit qu’ils seraient expulsés du port de
Séville. Il fallait qu’elle se rende là-bas avant qu’ils ne soient débarqués
dans un lieu où ils pourraient tomber aux mains des Arabes. Fatima n’ignorait
pas les massacres de déportés du royaume de Valence ; à Tétouan non plus
ceux qui étaient parvenus jusqu’à la ville corsaire n’avaient pas été bien
accueillis ; beaucoup les considéraient comme des chrétiens qui arrivaient
aux Barbaresques parce qu’ils n’avaient pas le choix, et ils les tuaient. Elle
devait atteindre Séville avant qu’ils n’embarquent ! Il lui fallait
ensuite trouver un navire capable d’aller à Constantinople. Elle avait besoin
de cédules afin de pouvoir se déplacer dans la ville espagnole pour retrouver
Hernando. Mais auparavant elle devait régler ses affaires, acheter de
nombreuses personnes. Efraín se chargerait de tout. Il le faisait toujours, et
obtenait toujours tout ce qu’elle désirait… quel qu’en soit le prix.
— Où est donc Efraín ? hurla-t-elle.
Rafaela fut autorisée à rester dans sa maison jusqu’au
retour de Séville du magistrat Gil Ulloa, qui en disposerait alors. Pendant toute
la journée, elle avait assisté à l’inventaire détaillé de ses objets et de ses
biens, auquel un scribe et un alguazil avaient procédé.
— Le décret…, bredouilla Rafaela au moment où le scribe
fouillait dans le coffre où elle rangeait ses vêtements. Le décret établit que
seuls les biens-fonds seront saisis par le pouvoir royal. Les autres biens sont
à moi.
— Le décret, lui répondit âprement l’homme, tandis que
l’alguazil, lascivement, soulevait à contre-jour un jupon blanc brodé,
octroyait aux Maures la possibilité d’emporter leurs affaires. Si ton époux ne
l’a pas fait…
— Ces
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