Les révoltés de Cordoue
son visage.
— Il y a des soldats partout, reprit Fatima.
Rafaela se mit à sangloter. Le monde semblait s’écrouler
autour d’elle. L’épuisement, l’émotion, la terrible vérité. Tout parut se
liguer contre elle à cet instant. Elle sentit que ses jambes ne la portaient
plus, qu’elle ne respirait plus. Elle n’entendait plus que les paroles de cette
femme, de plus en plus confuses, de plus en plus lointaines…
— Vous n’avez aucun moyen de vous échapper. De sortir
de l’Arenal. Je suis la seule à pouvoir vous aider…
Alors Rafaela, étouffant un gémissement, perdit
connaissance.
Les enfants se précipitèrent à ses côtés, mais Hernando fut
plus rapide. Il les écarta et s’agenouilla près d’elle.
— Rafaela ! dit-il en lui tapotant les joues.
Rafaela !
Désespéré, il regarda autour de lui. Ses yeux croisèrent
ceux de Fatima. L’espace d’un instant seulement, mais il suffit pour qu’ils
comprennent tous deux, elle avant lui, qu’ils s’étaient perdus.
— Ne m’abandonne pas, suppliait Rafaela, à moitié
consciente. Ne me quitte pas, Hernando.
Miguel, les enfants et Fatima observaient le couple un peu à
l’écart, près de la rive du Guadalquivir où Hernando avait porté son épouse. Le
visage de Rafaela était toujours aussi pâle, sa voix tremblait encore ;
elle n’osait plus le regarder.
Hernando sentait encore le parfum de Fatima sur sa peau.
Quelques minutes plus tôt il avait plongé dans ses bras, l’avait désirée ;
il avait même rêvé brièvement, une poignée de secondes, au bonheur qu’elle lui
proposait. Mais à présent… Il observa Rafaela : les larmes coulaient sur
ses joues, se mélangeant à la poussière du chemin collée à sa peau. Il vit
trembler son menton. Elle se forçait à réprimer ses sanglots, comme si elle
voulait se présenter devant lui telle une femme dure, déterminée. Hernando se
pinça les lèvres. Elle n’était pas cette femme-là : elle était la jeune
fille qu’il avait libérée du couvent et qui, peu à peu, par sa douceur, avait
su gagner son cœur. Elle était son épouse.
— Je ne te quitterai jamais, s’entendit-il lui dire.
Il lui prit les mains, doucement, et l’embrassa. Puis il la
serra dans ses bras.
— Comment va-t-on sortir de là ? lui
demanda-t-elle.
— Ne t’inquiète pas, murmura-t-il, s’efforçant de
paraître convaincant.
Bientôt, les enfants et Miguel les entourèrent.
— Pour le moment, j’ai une dernière chose à faire…, dit
alors Hernando.
Hernando s’avança vers Fatima.
— Je suis venue te chercher, Hamid ibn Hamid, dit cette
dernière avec gravité. Je croyais que Dieu…
— Dieu décidera.
— Ne t’y trompe pas. Dieu a déjà décidé,
rétorqua-t-elle en désignant la foule entassée dans l’Arenal.
— Ma place est auprès de Rafaela et de mes enfants,
déclara-t-il d’un ton ferme, qui n’admettait aucune objection.
Fatima trembla. Son visage s’était mué en un masque beau et
dur. Elle voulut partir mais, avant de faire un pas, elle posa une fois encore
ses yeux sur lui.
— Je sais que tu m’aimes encore.
Puis elle fit demi-tour et commença à s’éloigner.
— Attends, lui demanda Hernando.
Il courut à l’endroit où se tenaient les chevaux et revint
aussitôt, un paquet dans les mains. Il fouilla à l’intérieur.
— Ceci t’appartient, dit-il en rendant à Fatima son
vieux collier en or.
Elle le prit d’une main tremblante.
— Et cela, continua Hernando en lui tendant la copie
arabe de l’évangile de Barnabé, de l’époque d’Almanzor… Ce sont des écrits très
précieux, très anciens, qui appartiennent à notre peuple. Je devais essayer de
les faire parvenir au sultan.
Fatima resta immobile.
— Je sais que tu te sens trahie, reconnut Hernando.
Comme tu l’as dit avant, j’aurai du mal à m’échapper d’ici, mais je vais
essayer, et si j’y parviens, je continuerai à lutter en Espagne pour le Dieu
unique et pour la paix entre nos peuples. Comprends-moi, je peux risquer ma
vie, je peux risquer la vie de mon épouse et même celle de mes enfants, je peux
même renoncer à toi… mais je ne peux pas sacrifier l’héritage de notre peuple.
Je ne peux plus garder cela en ma possession, Fatima. Les chrétiens ne doivent
pas s’en emparer. Prends-le en hommage à notre combat pour conserver les lois
musulmanes et fais ce qui te semblera le plus opportun. Prends-le, pour Allah,
pour
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