Les Seigneurs du Nord
la
Northumbrie ?
— Nous, bien sûr, dit-il, parlant des
Danes. (Ils mettaient souvent un Saxon soumis sur le trône du pays qu’ils
conquéraient, et Egbert, quel qu’il fût, était sans doute ainsi à leur botte, mais
le véritable chef était le jarl Ivarr, le Dane qui possédait presque
toutes les terres des environs.) C’est Ivarr Ivarrson, dit Thorkild avec fierté.
Et son père était Ivar Lothbrokson.
— Je le connaissais, dis-je.
Il ne me crut probablement pas, mais c’était
vrai. Ivar Lothbrokson avait été un redoutable seigneur de guerre, maigre, féroce
et sanguinaire, mais c’était un ami du comte Ragnar qui m’avait élevé. Son
frère était Ubba, celui que j’avais tué au bord de la mer.
— Ivarr est le vrai chef de la
Northumbrie, continua Thorkild, mais pas de la vallée de la Wiire. C’est
Kjartan qui la gouverne, ajouta-t-il en touchant l’amulette en forme de marteau
qu’il portait à son cou. On l’appelle Kjartan le Cruel, désormais. Et son fils
est pire.
— Sven… dis-je d’un ton aigre.
Je les connaissais l’un et l’autre. C’étaient
mes ennemis.
— Sven le Borgne, grimaça Thorkild en
portant de nouveau la main à l’amulette comme pour se protéger du maléfice des
noms qu’il venait de prononcer. Et au Nord, règne Ælfric de Bebbanburg.
Je le connaissais aussi. C’était mon oncle, celui
qui m’avait ravi ma terre, mais je fis semblant de ne pas le connaître.
— Æ lfric ? Un autre Saxon ?
— En effet, mais sa forteresse est trop
puissante pour nous, dit-il pour expliquer qu’un seigneur saxon puisse encore
régner en Northumbrie. Et il ne fait rien qui nous offense.
— Il est ami des Danes ?
— Il n’en est point ennemi. Ce sont de
grands seigneurs, Ivarr, Kjartan et Ælfric, alors qu’au-delà des collines de
Cumbraland nul ne sait ce qui se passe. (Il parlait de la côte ouest de
Northumbrie, qui borde la mer d’Irlande.) Il y avait un grand seigneur dane
là-bas. Hardicnut, tel était son nom, mais j’ai ouï dire qu’il avait été tué
lors d’une querelle. Et maintenant…
Telle était donc la Northumbrie, royaume de
seigneurs rivaux dont aucun n’avait de raison de m’aimer, et deux d’entre eux
voulaient ma mort. Pourtant c’était mon pays, et j’avais là-bas un devoir qui
me faisait suivre le chemin de mon épée.
Ce devoir, c’était celui d’une dette de sang. La
dette avait été contractée cinq ans plus tôt, quand Kjartan et ses hommes
étaient venus au château du comte Ragnar dans la nuit. Ils l’avaient incendié, puis
avaient massacré tous ceux qui essayaient de fuir les flammes. Ragnar m’avait
élevé, je l’aimais comme un père, et son meurtre n’avait pas été vengé. Il avait
un fils, lui aussi appelé Ragnar, qui était mon ami ; mais Ragnar le Jeune
ne pouvait se venger, car il était à présent otage dans le Wessex. Aussi
partais-je au nord tuer Kjartan. Ainsi que son fils, Sven le Borgne, qui avait
fait prisonnière la fille de Ragnar. Thyra était-elle encore en vie ? Je l’ignorais,
je savais seulement que j’avais juré de venger la mort de Ragnar l’Ancien. Parfois,
alors que je tirais sur la rame de Thorkild, il me semblait que j’étais un sot
de rentrer dans cette Northumbrie remplie d’ennemis, mais le destin me menait
et une boule monta dans ma gorge quand nous arrivâmes en vue de la large bouche
de l’Humber.
Il n’y avait là rien de plus à voir qu’un
rivage bas et boueux sous la pluie, des osiers bordant des ruisseaux et de grandes
plaques d’algues flottant sur l’eau grise, mais c’était la rivière qui menait
en Northumbrie et je compris en cet instant que j’avais pris la bonne décision.
C’était chez moi. Ce n’était pas le Wessex avec ses champs fertiles et ses
collines rondes, mais ici l’air était sauvage.
— Est-ce ici que tu demeures ? demanda
Hild.
— Ma terre est plus loin au nord. Ici, c’est
la Mercie, dis-je en désignant la rive sud. Et là en face, la Northumbrie, qui
s’étend jusqu’aux terres des barbares.
— Des barbares ?
— Les Scotes, crachai-je.
Avant l’arrivée des Danes, les Scotes étaient
nos ennemis, qui ravageaient le Sud ; mais, comme nous, ils avaient été
attaqués par les Norses et représentaient une moindre menace.
Nous remontâmes l’Ouse à la rame, en chantant
sous les saules et les aulnes, entre les prairies et les forêts, et Thorkild, maintenant
que nous étions en
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