Les sorciers du ciel
l’auront pas ! J’appris plus tard que c’était un jeune vicaire du diocèse de Münster qui avait eu le premier la chance de s’enfuir.
À la tombée de la nuit, nous reprenons la marche… La population est déjà trop excitée, on n’ose plus tirer en grand, on transporte sur des camions les détenus épuisés. Il pleut de plus en plus fort. Des paysannes se tiennent sur le bord de la route et nous donnent de l’eau à boire. Beaucoup ont des larmes aux yeux quand elles voient cette procession misérable. Procession ? Oui, c’en était bien une, la plus étrange qui ait jamais marché sur les routes d’Allemagne. Pas de prêtres en chape d’or, pas d’enfants de chœur en robe rouge, avec des sonnettes et des encensoirs, pas de drapeaux, pas de tir à blanc, pas d’assistance recueillie sur les deux bords de la route, mais le principal était là : le Seigneur dans l’hostie. Un jeune vicaire autrichien le portait, caché sous son habit de détenu, le même prêtre dont le Saint-Père disait dans son allocution du 2 juin, que les S.S. sans Dieu avaient un jour singé sur son corps la Flagellation et le Couronnement d’Épines (242) .
Cette nuit-là aussi passa. Vers 10 heures, la deuxième étape est atteinte, dans la vallée de la Leisach, au sud de Wolfrahtshausen. Nous tombons à nouveau épuisés sur le sol et essayons de dormir un peu malgré la pluie et le froid. Au bout d’une demi-heure, on me tape sur l’épaule :
— Levez-vous !
Ce qui arriva alors m’a souvent fait penser, par la suite, à la miraculeuse délivrance de saint Pierre… Je me lève. Ce n’est pas un ange qui est devant moi, mais un lieutenant de la Wehrmacht. Je n’en crois pas mes yeux lorsque je reconnais un confrère bien aimé qui, après quatre ans de service courageux avait été démobilisé en janvier par suite des menées de la Gestapo. On sait que les Jésuites n’étaient pas dignes de porter l’uniforme vert. Il nous informe que les Américains s’approchent déjà du lac de Starnberg, qu’à Munich la population commence à se révolter contre les S.S., qu’avec d’autres Jésuites, il nous apportera dans la journée des vêtements civils, afin que nous échappions aux mains des S.S. avant d’être fusillés. Mais on ne pouvait penser à une évasion, le camp d’étape situé au milieu de la forêt, à droite et à gauche de la grande route Munich-Bad Tolz est entouré d’un double cordon de sentinelles. Nous attendons la prochaine marche de nuit. Alors nous réussirons à nous enfuir.
À midi se présente à nous un major de la Wehrmacht. Les prêtres lui exposent la situation qui menace de devenir catastrophique ; contre l’ordre de Himmler, il ne peut rien entreprendre, mais promet d’aller chercher dans un magasin de la Wehrmacht du pain et du fromage pour les affamés.
Entre-temps, retentissent des coups de feu : des Russes attaquent des Allemands. Sept détenus seront fusillés au cours de la journée pour tentative d’évasion, d’autres seront blessés. Nous attendons la marche de nuit qui devait nous apporter la liberté. Alors nous est transmis ce commandement : « Le camp restera en place pendant la nuit. » Eh bien ! tous les plans d’évasion sont à l’eau. Vers 21 heures, nous nous étendons sur le sol humide et nous nous recommandons à la grâce du Tout-Puissant.
Et Dieu ne nous abandonne pas. Soudain, j’entends mon nom dans l’obscurité :
— Venez avec nous !
Le confrère en uniforme de lieutenant est à nouveau devant moi.
— Où allons-nous ?
— Pas de questions !… Vite, vite !
Le manteau de bagnard vole quelque part dans la broussaille. Je remets la pèlerine en marchant et je suis mon guide à travers la forêt obscure. Sur la route, je vois un grand camion arrêté, deux jeunes Jésuites sont étendus sur le sol boueux et font semblant de réparer la voiture. À la lueur des phares, les sentinelles S.S. vont et viennent avec leurs mitraillettes armées.
— Vite sautez à côté du volant dans l’auto, me dit tout bas notre libérateur.
Maintenant, nous jouons la carte décisive : en quelques bonds nous sommes dans la voiture. Les S.S. nous ont-ils aperçus ? Le conducteur n’est pas encore là. Trois, quatre minutes passent, une éternité ! Pourquoi ne partons-nous pas ?
Nous ne nous doutons pas que, derrière nous, dans la voiture, huit autres prêtres allemands, étaient
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