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Les sorciers du ciel

Les sorciers du ciel

Titel: Les sorciers du ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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Skorko, les chirurgiens accrédités du Revier opèrent.
    — Une heure après (236) se déclare un choc opératoire qui ne rétrocédera pas. Depuis l’intervention, le père Dillard n’avait proféré que quelques paroles pour dire qu’il était heureux que ce soit fait, pour avouer qu’il souffrait et pour demander quelque nourriture   : « Morin, donne-moi un peu de compote (Morin avait réussi à faire un peu de compote) comme cela tu me sauveras. » Et Morin courait chercher la compote… La fin était calme. Vers 9 h moins 5, la respiration devint très faible et à 9 heures, le père Dillard mourait… Au moment précis de sa mort, dans les deux pièces réunies constituant la chambre 4 du block « 1 », bruyante encore quelques minutes avant, comme elle l’était souvent, avec son entassement de malades, deux par casier pour la plupart, à l’exclusion des mourants, il se fit un silence total. Et l’on vit des corps se relever et des regards se diriger vers le père Dillard. Une profonde consternation figeait tous les visages, des rustres comme des intellectuels, des occidentaux comme des orientaux.
    — Souvent, les morts étaient à peine remarqués   ; parfois, ils ne frappaient que les voisins dont certains s’empressaient de voler le pain et la margarine restant   ; aujourd’hui, tous participaient à ce départ. C’était la première fois que nous constations cette émotion collective   : nous ne devions plus la retrouver.

CHAPITRE XXIII

LES DERNIERS JOURS
    Au mois de décembre 1944, les soixante prêtres dépendant du camp de Neuengamme rejoignent Dachau. Parmi eux, le révérend père Humbert   :
    — À notre sortie (237) du wagon, nous marchions comme des vieillards, et cela dura quinze jours… nous étions tellement épuisés   ; j’avais alors trente-cinq ans et je me disais en moi-même   : « Jamais tu ne retrouveras ta jeunesse. » On nous enferma dans une chambre du block 17   ; cela nous reposa un peu du terrassement. Nous organisâmes nos journées   : prière en commun, communion que nous apportait un prêtre du block 26, cercle d’études, et, le soir, salut du Saint-Sacrement avec une petite boîte comme ostensoir.
    — Le soir de Noël, nous eûmes la visite de M gr  Piguet. Il nous apporta un bidon de soupe et nous parla cœur à cœur. C’était réconfortant de voir un évêque concentrationnaire. « Là où est l’évêque, là est l’Église », avait écrit saint Cyprien. L’Église, en sa personne, partageait la souffrance des déportés. Après vingt et un jours de quarantaine, nous fûmes répartis dans les blocks réservés aux ecclésiastiques. Le lendemain, il y eut une messe clandestine au block 28. C’est peut-être la plus belle messe à laquelle j’ai jamais assisté.
    — L’autel   : une vulgaire table de bois blanc, une bougie à même la table, une timbale en aluminium pour calice, un missel de poche, une croix de chapelet, c’est tout. Un prêtre en habit de bagne se recueille pendant que les chrétiens arrivent. Les fenêtres sont calfeutrées. Un prêtre monte la garde à la porte   : silence, obscurité, recueillement   ; à quelques pas, le crématoire fume.
    — Tous répondent aux prières à voix basse. Je suis agenouillé dans un coin, anonyme, ignoré. Tous ces inconnus, affublés des costumes les plus sordides, ces têtes rasées, ces visages émaciés par la souffrance, ce ne sont plus des bagnards, mais des prêtres. Les premiers mots du sacrifice me révèlent leur sacerdoce. Toutes ces mains jointes sont des mains consacrées qui délèguent deux d’entre elles pour offrir et rompre le Pain de vie. Tout cela je viens de le sentir en une minute de plénitude unique. Je n’aurais pas donné ma place pour un empire.
    — Le prêtre élève l’hostie sur la paume de ses mains. Est-il patène plus digne que ces mains qui ont eu les menottes, qui ont manié la grosse pioche allemande, qui ont peut-être absout un typhique dans un coin d’infirmerie   ? Dans son dépouillement total, le sacrifice de l’autel ne laisse transparaître que les gestes essentiels.
    — Le prêtre élève un peu la voix à la consécration. Je vois, avec les yeux de la foi, le pain devenir le Corps du Christ. Je vois l’hostie des déportés, lourde de tant de tortures, de morts lentes, devenir la Victime du Calvaire au milieu de ces forçats prostrés dans la nuit. Ici s’arrête la puissance formidable du

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