Les sorciers du ciel

nazisme. « Ici il n’y a pas de bon Dieu », avait hurlé un S.S. et il a suffi de quelques mots tombés des lèvres d’un prêtre pour apporter la présence réelle de Dieu dans cet enfer de la terre, pour qu’il ne soit plus un enfer.
    — Le prêtre élève le sang du Christ dans la timbale d’aluminium. Laideur affreuse ou beauté sublime de ce calice   ? Jamais la beauté du Mystère n’a été plus frappante qu’en cette simplicité sublime.
    — Le prêtre passe au milieu des déportés avec une boîte servant de ciboire, et distribue le Pain de vie. La messe s’achève dans le silence. Il y a des intimités qu’on ne doit pas rompre.
    — Un jour, un prêtre prolongera cette messe   : il tombera fusillé en criant   : « Ne me vengez pas   ! »
     
    — Le 29 janvier, je touchai mon premier colis de la Croix-Rouge. Quelle joie de manger quelque chose qui venait de France   ! Dès l’arrivée des colis, l’abbé Fraysse, et l’abbé de la Martinière organisèrent un service d’entraide pour ceux qui ne recevaient rien. On vit alors les pauvres Russes affluer au block des prêtres. J’en avais adopté un qui parlait le français, et je partageai mes colis avec lui. Nous avons beaucoup parlé communisme ensemble. Il était farouchement communiste. Évacué trois jours avant la Libération, il vint me dire adieu. Nous nous embrassâmes en pleurant. Quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre dire en me quittant   : « Nous nous retrouverons là-haut. » Il est vrai qu’il avait été élevé chrétiennement par sa mère dont il parlait toujours avec une grande vénération.
    — Nous avions, dans mon block, un chef de chambre polonais qui n’était pas des plus sympathiques. Un jour il priva tous les Français de « rab » de soupe, sous prétexte que leurs placards n’étaient pas assez propres. Un bon curé savoyard, l’abbé Trufy, curé de Glières, qui fut un héros de la Résistance, lui reprocha sa partialité. Résultat   : il fut privé de soupe durant huit jours. Mais le chef de chambre avait compté sans la générosité des Français, et jamais l’abbé Trufy n’a tant mangé de soupe que durant ces huit jours.
    — La Fête de l’Unité, préparée par une neuvaine, prit un relief particulier, étant donné que nous représentions vingt-trois nations et plusieurs confessions religieuses. Le baiser de paix entre prêtres, officiellement « ennemis », mais intérieurement amis, prenait ici tout son sens   ; écho des paroles de Saint Paul   : « Il n’y a plus ni Grecs, ni Juifs… vous êtes tous frères dans le Christ Jésus. » La fête de Notre-Dame de Lourdes fut particulièrement chère aux Français. À cette occasion, l’abbé Joran composa un hymne en musique. Atteint du typhus, il ne put y assister.
    Pour le père Joseph Haller, la cérémonie « peut-être la plus importante » se déroula le Jeudi-Saint 1945   :
    — Il était (238) 4 h 30. Ce matin-là j’ai compris qu’être prêtre c’est être un serviteur. Les douze prêtres les plus âgés étaient assis sur douze escabeaux. À l’exemple du Maître, un Abbé bénédictin, lui aussi prisonnier, s’agenouille, lave les pieds de ses confrères, les essuie et les baise. Environ six cents prêtres étaient témoins de la scène et chantaient la parole de l’Évangile « Je vous ai donné un exemple afin que vous fassiez comme je vous ai fait. » La parole   : « Je suis parmi vous comme un serviteur » – m’était certes connue, mais à cette heure, elle m’apparut chargée de toute sa dignité et de tout son poids. Séparé des âmes qui m’avaient été confiées, brutalement arraché de mon milieu de travail, n’ayant plus d’attention que pour ce qui est semé avec des larmes, j’ai mieux compris les signes du temps   : l’exigence pour le prêtre d’être le serviteur de ses frères.
     
    — La messe (239) de Pâques où nous étions serrés comme des sardines, fut marquée par un admirable sermon de quarante-cinq minutes en latin, du Père Abbé de Belloc. De voir ce vieillard courbé en deux, épuisé physiquement, parler de résurrection, d’espérance, de vie nouvelle et de joie, faisait penser au grand saint Ignace d’Antioche   : « Je suis le froment de Dieu, je vais être moulu par la dent des bêtes pour devenir un pain agréable à Dieu. »
    — La semaine de Pâques, je portai la communion dans un block de typhiques où se trouvait