Les sorciers du ciel
sûr et en s’interrompant aux allées et venues des Kapos, comment depuis sa captivité il avait mieux compris le problème de la douleur. Il voyait son « sens » rédempteur, non seulement pour les fautes de celui qui souffre mais aussi pour tous les coupables. Ainsi en était-il venu à offrir sa souffrance pour la réparation de la faute même que commettaient ceux qui s’acharnaient à le faire souffrir.
Je pense que les martyrs des premiers siècles n’ont pas dû avoir de sentiments plus purs. J’écoutais, bouleversé, les confidences de cette âme exquise et virile à la fois.
Je pense qu’il était prêt pour l’Amour Infini. Il n’est pas revenu.
Annexe III
Le samedi 28 avril 1945 (255) , la veille de la Libération du camp, arriva à Dachau un convoi d’évacuation de Buchenwald ; dans un état de misère indescriptible, à côté de laquelle notre misère à nous, bien réelle pourtant, était véritable richesse : misère dont le souvenir, 25 ans après, me fait encore frémir. Parmi eux il y avait plusieurs religieux franciscains, qui nous firent le récit de leur odyssée. Sur un carnet, fabriqué avec les moyens du bord, j’ai pris des notes : elles sont du premier jet. Je les transcris telles quelles : elles me bouleversent encore. Je trouve ce témoignage du frère Jean Robert Hegnon d’une qualité humaine remarquable surtout quand on pense qu’il nous a été fait, à chaud, par l’un de ceux qui a vécu ce calvaire.
Samedi 7 avril : la battue dans le petit camp (le camp de Buchenwald était divisé en grand camp et petit camp) à coups de gourdins. Descente de Buchenwald : les éclopés s’affaissent et sont achevés. Embarquement à Weimar : wagons couverts et wagons découverts – 90 par wagon – Les 12 frères franciscains (256) en wagon découvert.
— Départ dans la soirée du samedi.
Dimanche : Lukenau : stationnement soirée et nuit. Ravitaillement : pommes de terre, deux fois ; un pain pour six.
Lundi : 11 heures ; départ. Après-midi ; banlieue de Leipzig – Sortie des morts sur le bord de la voie – Un sain pour dix. La nuit du lundi au mardi stationnement dans une banlieue de la gare de Leipzig.
Mardi au matin : on roule vers l’Est (60 kilomètres de Dresde) – Longe l’Elbe – En pays des Sudètes – Aucun ravitaillement.
Mercredi : Réveil à Pilzen en Tchécoslovaquie (devant l’abattoir). Étonnement, attroupement et générosité de la population tchèque – Irritation des S.S. – Dans l’après-midi nous arrivons dans un petit village sur le parcours, à chaque arrêt, générosité de la population en pleurs, qui nous jette pain, cigarettes, pommes de terre.
Stationnement dans un petit village. Le soir, une boule pour dix.
Manœuvres pendant deux jours. Chaque soir descente des morts – La nuit du départ du petit village : évasion.
Samedi : départ vers un autre petit village où nous stationnons jusqu’au lundi. La population nous jette des petits pains. Nos sentinelles les prennent.
Lundi : nous roulons en pleine Tchécoslovaquie : plaine vallonnée, paisible, verdoyante. On nous jette des pommes de terre, du pain.
Dans une gare, scène d’atrocité : piétinement d’un déporté qui s’est levé dans un wagon pour faire signe de lui apporter de l’eau (crachats).
Les petites églises regardées avec amour. Le chant des alouettes dans le calme de la campagne. Ensemencement des pommes de terre. Les lièvres et les perdrix foisonnent dans les champs. On croise un autre convoi de Buchenwald : ils sont plus heureux que nous dans l’ensemble.
Chaque soir, problème du coucher : torture de la nuit. Ne pouvant ni se lever, sous peine de se faire fusiller (les coups de fusil ne s’arrêtent pas : deux camarades déjà touchés, un mort) à bout portant, ni s’allonger faute de place, nous sommes obligés de rester à la même place 24 heures sur 24, et cela chaque jour.
La dysenterie – Les nuits : râles des mourants, disputes des coucheurs, arrivée des S.S. qui rouent de coups de crosse tout le monde – La fusillade – Folie de certains – Moyenne de trois morts par jour : morts qu’on achève. Doigts de pied gelés.
Mardi : stationnement dans une gare tchèque.
Mercredi : dans la nuit de mardi nous partons et toute la journée nous roulons.
Site grandiose des Alpes bavaroises. Le train s’engage entre des pentes rocheuses
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