Les sorciers du ciel
répond.
— J’étais heureux. Tous mes camarades qui ne reviendront jamais de l’enfer nazi ne m’en auraient pas tenu rigueur : j’avais conscience de ne pas les avoir trahis.
— Cette période de ma vie au camp de Dachau, a été pour moi la plus exaltante (252) . Je remercie la Providence de m’avoir conduit dans ce camp où l’occasion m’a été donnée d’aider à vivre et à mourir de nombreux camarades et de leur donner l’espoir d’une vie meilleure. L’occasion aussi de constater que la plupart, n’ont pas craint la mort, ont dépassé leur vie, car ils voulaient faire vivre ce qui mérite de vivre plus longtemps qu’eux : la liberté. Nous, prêtres, nous avons tout fait pour remplacer une mère, une épouse, des enfants, auprès des camarades terrassés par les souffrances physiques et morales. Ensemble, nous avons essayé de servir l’indéracinable aspiration à la justice et à la liberté qui ne fait qu’un avec la dignité de la personne humaine. Nous ne regrettons rien et souhaitons seulement que cela ne se reproduise plus. « Pardonne, mais n’oublie pas… ».
1955. Le chanoine Lucien Hess célèbre la messe dans le camp de Dachau ; le servant est un médecin français. Tous deux ont élevé l’autel contre le four crématoire. Tous deux pleurent.
Le médecin a retrouvé la foi de son enfance ici même, il y a dix ans, en rencontrant le chanoine.
Comme pour s’excuser, il lui avait dit :
— Tout a commencé dans la cellule où la Gestapo m’avait enfermé. Ma lucarne était surplombée d’un auvent pour que je ne puisse voir les toits de la ville. Mais un jour j’ai aperçu entre deux planches la statue de la Vierge au sommet d’un clocher. J’ai dit, j’ai répété des centaines de fois : « Si vous êtes puissante au ciel, demandez au Seigneur de me sortir d’ici. » Et je suis sorti. Sorti pour découvrir Dachau, mais sorti quand même.
Et il avait souri.
— Je voudrais me confesser mon père.
Dix ans plus tard, le médecin était arrivé à Reims, chez le chanoine Hess.
— Nous partons en pèlerinage…
Le prêtre élève le calice. Le calice de Dachau coulé au lendemain de la Libération sur le conseil de l’archevêque de Munich. Un calice unique. Le prêtre fondeur a utilisé l’or découvert dans les « canadas », l’or des disparus du crématoire : alliances, bijoux, montures de lunettes, mais aussi dents « récupérées » à la morgue…
— Ceci est mon sang…
ANNEXES
Annexe I
« — Moïse a dit au peuple : Gardez le souvenir de ce jour où vous êtes sortis d’Égypte, de la maison de servitude. » (Exode 13/3).
Vingt-cinq ans après (253) je me pose la question : Est-ce un rêve ?
Les camps de concentration resteront pour jamais le symbole de la barbarie et de la cruauté, le plus monstrueux de l’histoire.
Mais pourquoi des prêtres se sont-ils hasardés dans cet enfer ? Quelques-uns, très rares, avaient été pris dans des rafles. D’autres, plus nombreux, venaient du S.T.O. où ils s’étaient engagés comme aumôniers clandestins. Une fois découvert leur sacerdoce, ils furent envoyés à Dachau. Mais la grande majorité venait de la Résistance.
Au début, dans la Résistance, nous étions une poignée : 10… 15 dans les premières réunions clandestines, tandis que les foules chantaient Maréchal nous voilà. Il fallait s’encourager les uns les autres. J’y rencontrai quelques jeunes vicaires venus, comme moi, en cachette de leur curé.
Un jour, dans une réunion de prêtres, j’entendis un curé traiter le maquis de refuge de voyous. C’est dans cette réunion que se posa pour moi, clairement, le problème : une partie de plus en plus croissante de la population française vivait dans la clandestinité, sans prêtres, sans secours religieux. Fallait-il l’abandonner ? Dans la semaine qui suivit, j’appris que trois vicaires avaient pris le maquis. C’est alors que, sur la proposition du R.P. Moreau, qui avait été mon professeur de morale, et qui clamait : « La Résistance règle de la moralité », je m’engageai dans le réseau Coty.
Peu à peu les rangs de la Résistance grossissaient. On y rencontrait des hommes issus de la Révolution et des hommes issus de l’Évangile, défenseurs aussi farouches les uns que les autres, de la liberté. Une fraternité commençait à naître succédant à la solitude des premiers
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