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Les sorciers du ciel

Les sorciers du ciel

Titel: Les sorciers du ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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ou boisées, et du fond de notre wagon nous assistons à la naissance du printemps. C’est une féerie   : le feuillage des bouleaux d’un vert doré, grêle et léger, se détache gaiement sur le vert sombre et profond des sapins géants. C’est au milieu de cette poésie, de cette fraîcheur, que s’avance notre convoi de misère – Fusillade à bout portant, sang, agonie – Détritus – La soif – La faim – L’anxiété. Nous apprenons à connaître la valeur d’une bouchée de pain, d’une cuillerée d’eau, d’un rayon de soleil, le salut sympathique d’un passant.
    En pays tchèque, sur le plateau   : la question de l’évasion   : difficultés matérielles, double cordon de sentinelles – Impossibilité morale   : Louis malade, le nombre que nous étions. Notre attitude   : fidélité – Abandon – ardente supplication – Marie médiatrice – Saint Joseph.
    Mercredi soir   : arrêt dans une petite gare. Nous sommes mis sur une voie de garage – Pont de Passau coupé – Véritable radeau de la méduse – L’Extermination – (les gouttes d’eau pendant aux fils téléphoniques   : la SOIF).
    Deux jours et trois nuits dans le vent et la pluie, tout mouillés, sans rien de chaud   : huit pommes de terre, deux bouillons de choux déshydratés pour toute la semaine.
    On fait du feu sur deux briques dans le wagon. Au milieu des vivants les morts sont étendus. On les foule, on les piétine, on n’en fait plus de cas.
    Louis s’affaiblit. Il ne peut plus absorber aucune nourriture.
    Mardi soir, on accroche   : en route vers Passau.
    Mercredi   : Passau banlieue   : une alerte nous arrête en campagne, dans la nuit nous roulons un peu.
    Jeudi 26 avril   : Cri suprême vers Notre-Dame.
    Jean-Pierre croit bon de préparer Louis à la mort.
    À Pocking en Bavière, par un beau soleil, étendu sur une couverture, entre Jean-Pierre et Jean-Marie à sa droite, Eloi, Marie Bernard à sa gauche, après avoir communié de la main de l’abbé Héry et avoir entendu réciter les prières des agonisants, paisiblement Louis expira, la régie de notre Ordre entre les mains, tandis que ses frères en religion achevaient de chanter le cantique du soleil   : « Bénis sois-tu, Monseigneur, pour notre sœur la mort. »
    Départ vers Munich (110 kilomètres dans la journée). On touche un paquet de Maggi, mais pas d’eau (deux cuillères chacun), soif intense.
    Samedi 28   : arrivée en gare de Munich   : l’eau au fond du wagon.
    Épuisement complet, couverts de vermine.
    Aux douches de Dachau   : deux biscuits, un bonbon, trois morceaux de sucre, une barre de chocolat (fruits d’une collecte faite auprès des internés du camp). Ça vaut plus que tout ce que nous avons reçu durant ces quinze derniers jours.

Annexe IV
    « L’honneur d’être ouvrier » (257) .
     
    Pendant plus de six mois, j’ai eu l’immense avantage de vivre aussi complètement que possible la vie ouvrière. Je dis bien aussi complètement que possible, car en réalité je n’ai pas été, je ne pouvais pas être ouvrier. Je m’en suis rendu compte à l’attitude des autres qui ne m’ont jamais totalement pris pour un des leurs. Je n’ai jamais pu décider Méko, le Russe, qui fut comme électricien mon compagnon de travail, à me tutoyer   : quelque chose l’en empêchait. Et j’ai compris peu à peu qu’ils avaient raison. Ne devient pas ouvrier qui veut, existe une culture ouvrière qui ne se jauge pas avec les barèmes de la culture tout court. Je sais maintenant ce que cela veut dire « l’honneur d’être ouvrier » autrement que par les discours et par la poésie.
    Pour être ouvrier, il aurait-fallu que mon corps fût façonné, sculpté pour cet usage. L’ouvrier ne travaille pas seulement avec ses mains, c’est tout son corps qui est engagé dans la bataille, la passionnante et amoureuse bataille avec la matière. Quand mes yeux ont été brûlés par l’arc de la soudure électrique, mes oreilles accordées à l’assourdissant ronflement des machines ou au martèlement des tôles, mes jambes, mes genoux habitués à la voltige des escalades dans les charpentes métalliques, tous mes muscles tendus pour le serrage d’un boulon ou le décrochage d’une mèche, les poumons rompus à la respiration empoussiérée du métal qui vous pénètre, tout le corps rhumatisant de courants d’air malsains et strié de cicatrices diverses, j’ai compris que si j’avais vécu cela depuis

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